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NOTICE SUR LA VIE ET LES ŒUVRES

avec son accent particulier et son geste propre ; elle sera heureuse de le voir reparaître une dernière fois dans cette compagnie à laquelle il a été si profondément attaché, qu’il a présidée deux ans, où il a compté tant d’amis, laissé tant de regrets. Enfin, s’il y a quelques traits à ajouter, ceux que sa modestie a volontairement omis, et quelques jugements à porter sur son œuvre, on sera assuré de parler de lui, comme il l’eût souhaité, en se souvenant qu’il n’a rien tant aimé que la vérité, la justice, l’exactitude et la sincérité.

M. Francisque-Cyrille Bouillier naquit à Lyon en 1813. Son éducation fut dirigée par les maîtres les plus divers, d’abord dans sa ville natale à l’école primaire, puis au pensionnat du Verbe incarné, ensuite à Paris où, confié aux soins d’une tante qui avait fait de lui comme son fils adoptif, il suivit quelque temps les cours du collège Stanislas et ceux du collège Bourbon. Il y aurait sans doute terminé ses études si la Révolution de 1830 n’était survenue. Il assista aux Trois Glorieuses. Sa passion et son exaltation furent telles que sa tante, effrayée, dut le renvoyer à Lyon. M. Bouillier devait encore assister à bien des révolutions, mais, comme on le verra, ce fut avec moins d’enthousiasme ; il ne retomba jamais dans ce péché de sa jeunesse.

Il fit sa philosophie à Lyon, sous la direction de l’abbé Noirot, et l’influence de ce maître si réputé laissa sur son esprit une empreinte durable. En 1834, il entra à l’École normale. Il y eut pour camarades quelques-uns de ceux qu’il devait retrouver plus tard ici-même, deux surtout auxquels l’attacha toujours une étroite amitié, qui comptent parmi les gloires les plus pures de cette académie et dont les noms nous sont restés particulièrement chers : Ernest Bersot et Jules Simon. Parmi ses maîtres se trouvaient Michelet, pour qui il ne paraît pas avoir professé un vif enthousiasme, Damiron, Nisard, mais surtout celui qui a exercé sur tous les jeunes esprits de son temps la plus profonde et la plus décisive influence, le maître incontesté de toute cette ardente jeunesse, V. Cousin. C’est avec un plaisir visible, un sentiment de reconnaissante et vivace admiration, que M. Bouillier évoque le souvenir de ce maître aimé : « Quel feu dans le regard, dit-il, et quelle physionomie vivante ! Quelle pantomime expressive ajoutait à la force et à l’originalité de sa conversation. Plus je songe à l’homme, plus je me représente l’œuvre qu’il a faite et l’action qu’il a exercée sur les esprits, plus je m’étonne et même parfois je m’indigne de la réaction qui, de nos jours, s’est faite contre ce grand maître… » De tous les