Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/526

Cette page n’a pas encore été corrigée

idée est totalement absente de la morale ancienne. Elle est si étrangère à l’esprit grec, que pas plus en grec qu’en latin, il n’est de mot pour l’exprimer. Jamais les anciens n’ont conçu l’idéal moral sous la forme d’une loi ou d’un commandement. Ni en grec ni en latin ne se trouve une expression que l’on puisse traduire par « loi morale », et si, parfois, se rencontre dans les écrits des philosophes anciens l’expression de « loi non écrite », nomos agraphos, ou de « loi innée », il suffit de lire attentivement les textes pour s’apercevoir que le terme nomos est pris au sens ordinaire de « coutume » et d’ « usage ».

Cependant la langue morale des Grecs était riche en distinctions subtiles, et soit dans l’Éthique à Nicomaque, soit surtout dans la morale des Stoïciens, les nuances les plus délicates entre les diverses vertus ont trouvé, pour les rendre, des termes appropriés.

Quand Cicéron, s’inspirant de Panétius, traite des Officia, on sait que le second livre de cet ouvrage est consacré à l’étude de l’utile. Et ce seul exemple suffit à montrer combien est grande, entre les anciens et les modernes, la différence des points de vue. Il n’y a point, dans la morale grecque, un « impératif », mais seulement un « optatif ». Cette morale se présente toujours comme une « parénétique » : elle donne des conseils, non des ordres. Et les longues listes de devoirs envers soi-même et envers autrui qui remplissent les traités modernes sont remplacés, chez les anciens, par des tableaux ou des portraits. On nous y représente l’idéal du sage, on nous y offre des modèles, en nous conviant à les imiter. Entre l’idéal et le réel, le rapport n’est pas celui du commandement à la soumission, mais du modèle à la copie, de la forme à la matière. Ainsi, nulle idée de devoir, ni de ce que nous appelons obligation, dans la morale des philosophes grecs. D’ailleurs, il n’en pouvait être autrement : la chose est facile à comprendre. En effet, le but que l’on se propose expressément dans toutes les écoles de philosophie anciennes, aussi bien dans l’école stoïcienne que dans celle d’Épicure ou de Platon, c’est d’atteindre à la vie heureuse. Et le bonheur dont il s’agit est le bonheur de la vie présente.

Sans doute les divers systèmes se distinguent par la façon