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nouvelle. Cet acte n’étant pas d’ordre intellectuel, on ne peut mieux le désigner qu’en l’appelant acte de volonté. Juger ou affirmer, c’est faire en sorte que l’idée à laquelle on adhère soit, non pas certes vraie en soi, mais vraie pour celui qui y croit (ce qui est la seule manière pour elle d’être, à l’égard d’une conscience donnée, vraie en soi) ; c’est lui conférer, par un acte sui generis, une sorte de réalité, qui est le seul équivalent possible de la réalité véritable.

Mais déclarer que juger ou croire c’est vouloir, n’est-ce pas faire au sens commun et au langage une véritable violence ? Cette proposition a le privilège d’étonner nos contemporains, et d’en indigner quelques-uns. Elle n’est pourtant pas nouvelle. Les stoïciens, qui étaient, comme on sait, fort bons logiciens, l’ont formulée les premiers ; et tous les philosophes grecs postérieurs à Aristote, si prompts à la dispute, ne paraissent avoir soulevé aucune difficulté sur ce point. Parmi les modernes, Descartes, Malebranche, Spinoza sont du même avis. Ces autorités devraient donner à réfléchir.

Pour simplifier, commençons par écarter une question, à la vérité fort étroitement liée à celle que nous examinons, distincte pourtant, celle de la liberté. Sans être partisan du libre arbitre, on peut soutenir que l’affirmation est acte de volonté : les stoïciens et Spinoza en sont la preuve. Même en supposant que l’entendement et la volonté ne soient que les deux aspects d’une même chose, on peut dire avec Spinoza (Eth. II, pr. XLVIII.) que l’affirmation est l’aspect volontaire de la pensée : le déterministe le plus résolu peut dire qu’affirmer c’est vouloir, mais nécessairement. On peut donc réserver ici la question du libre arbitre : il y a tout intérêt à étudier séparément deux problèmes si difficiles.

L’objection, qui se présente comme d’elle-même, est celle-ci. Comment dire que juger, c’est vouloir ? Puis-je ne pas vouloir que deux et deux fassent quatre ? Le propre des vérités de ce genre n’est-il pas de s’imposer sans résistance possible ? N’y croit-on pas dès qu’on les comprend ? Je ne veux pas que les trois angles d’un triangle soient égaux à deux droits : cela est, que je le veuille ou non.