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a d’ailleurs dans le contexte un passage qui semble bien se rapporter à la méthode de Zénon (246, B : τὰ δὲ ἐκείνων σώματα ... κατὰ σμικρὰ διαθραύοντες ἐν τοῖς λόγοις ). Mais surtout dans le Théétèle (180, D), nous voyons Platon opposer à la théorie de Parménide et des Éléates, comme son contraire, la doctrine d’Heraclite et de Protagoras. Or, quand Heraclite et ses disciples soutiennent que rien n’est en repos, que tout est en mouvement, il ne s’agit pas du mouvement de l’Univers pris dans son ensemble, mais bien, comme le prouve toute la discussion, du mouvement des parties élémentaires, de la sensation, des qualités des corps, de tous les êtres, et de tout ce qui devient (Théét., 152, D : ἐκ δὲ δὴ φορᾶς τε καὶ κινήσεως καὶ κράσεως πρὸς ἄλληλα γίγνεται πάντα. Cf. 181, B). À cette affirmation que tout est mouvement (156, A :τὸ πᾶν κίνησις ἦν καὶ ἄλλο παρὰ τοῦτο οὐδέν, τῆς δὲ κινήσεως δύο εἴδη) s’oppose absolument cette autre affirmation que rien ne se meut (180, E : ἕν τε πάντα ἐστὶ καὶ ἕστηκεν αὐτὸ ἐν αὑτῷ), et il s’agit évidemment du mouvement ou plutôt du changement sous toutes ses formes, aussi bien de la forme qualitative que de la forme quantitative. Et la raison de cette négation est indiquée par Platon, et confirmée par Aristote (Phys., IV, 6, 213) : c’est qu’il n’y a pas de vide, c’est-à-dire de non-être. Comme plus tard les Épicuriens, les Eléates considèrent le mouvement comme inexplicable sans le vide. Or il n’y a pas de vide, qui serait un non-être : c’est leur thèse métaphysique. C’est pourquoi il n’y a pas de mouvement, d’aucune sorte. Par où l’on voit qu’ils sont des métaphysiciens, ou, si l’on veut, des dialecticiens beaucoup plus que des physiciens ou des mathématiciens.


Reste la question de la pluralité. Selon M. Milhaud, ce que j’entends par la pluralité, combattue par Zenon, « c’est la décomposition possible et illimitée du continu en parties ». Et il oppose cette pluralité à la pluralité réalisée, en acte. Mais je n’ai jamais songé à cette pluralité abstraite du continu. Je sais trop que, pour les Éléates, précisément parce qu’ils sont des métaphysiciens, comme aussi pour tous les philosophes de cette époque, quand on parle de l’être, on veut entendre la réalité en soi et en acte, dans ce qu’elle a de plus concret. Si l’Être en acte est composé de parties (ce qu’ils nient), il faut que ces parties existent en acte, quelle