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LES ARGUMENTS DE ZÉNON D’ÉLÉE

Pour nous en tenir aux travaux les plus récents, M. Dunan incline à interpréter l’argumentation de Zénon dans un sens idéaliste. Il déclare, en effet, que « le problème posé par Zénon ne pouvait être utilement traité et définitivement résolu avant l’apparition de la Critique de Kant » (p. 42). Quant à Zénon lui-même, il estime « qu’il n’entrevoyait que bien peu le sens et la portée vraie de ses arguments, qu’il se rendait bien peu compte de sa propre pensée ». C’est être bien sévère. Mais la question n’est pas résolue : si Zénon ne savait pas trop ce qu’il disait, comment venait-il en aide à Parménide ?

M. Évellin semble croire qu’en prouvant l’impossibilité du mouvement dans le continu divisible à l’infini, Zénon voulait prouver la nécessité d’une autre conception, du discontinu, et croyait à la réalité du mouvement. C’est une interprétation réaliste : le continu serait une apparence ; le réel serait discontinu. Mais cette opinion ne saurait se soutenir. Les textes disent en effet que Zénon niait le mouvement sans restriction. Nous avons d’ailleurs montré que la thèse de M. Évellin est précisément celle que Zénon combat dans la seconde moitié de son argumentation.

Selon M. Renouvier, si nous avons bien compris sa pensée, le continu ne serait aussi pour Zénon qu’un phénomène, une illusion. Seulement il ne croirait pas davantage à la réalité du discontinu, des points et des instants indivisibles. Il opposerait l’une à l’autre les deux conceptions possibles du continu, et les ruinerait toutes deux sans conclure. C’est ce qui permet de rapprocher son argumentation des antinomies de Kant. C’est une interprétation idéaliste, à cela près que Zénon affirme la réalité absolue de l’Un.

Cependant, rien dans les textes ne prouve directement que telle fût la pensée de Zénon. Et, d’autre part, nous voyons que Parménide déclarait l’Être continu, et rapprochait ces deux termes : ἒν ϰαὶ ξυνεχές (Mullach, 62, 76-77, 81). Aussi nous semble-t-il bien difficile de ne pas interpréter la thèse des Éléates dans un sens réaliste.

À vrai dire, ce n’est pas contre l’existence du continu, c’est contre la composition du continu que sont dirigés les arguments de Zénon. L’Être est continu, mais indivise et indivisible. Il ne faut pas dire qu’il est un tout, car il n’a pas de