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LES ARGUMENTS DE ZÉNON D’ÉLÉE 11

moins avec trop de rigorisme. Quand Zénon a commencé par supposer Achille et la tortue en mouvement, il est bien clair qu’en un sens il s’interdit à lui-même d’aboutir à une conclusion qui nie la possibilité du mouvement. Mais il use ici d’un procédé ou, si l’on veut, d’un artifice permis. Le mouvement est impossible : la Dichotomie l’a prouvé. Supposons pourtant, pour un moment, par grâce, qu’il soit possible : on arrive à d’autres absurdités. Les mêmes raisons qui empèchent le mouvement de commencer, l’empêchent de continuer une fois commencé. Le second argument complète le premier : c’est la même idée présentée sous une forme plus concrète, plus saisissante, plus tragique, comme dit Aristote.

Les deux derniers arguments ont été moins souvent discutés que l’Achille : on les réfute surtout par le dédain : on a vite fait de les appeler sophismes. Cependant si la Flèche est prise dans son vrai sens, il n’est pas facile de voir ce qu’on pourrait lui objecter. Apparemment, il n’est pas plus aisé d’expliquer le mouvement, dans l’hypothèse des indivisibles, que de composer une ligne avec des points, une durée avec des instants. Il y a, toutefois, cette différence, tout à l’avantage de Zénon, que le point n’est pas la négation de la ligne, ni l’instant de la durée, aussi clairement que le repos est la négation du mouvement. Est-il possible de répondre à Zénon ? Nous ne voudrions pas le nier, puisque M. Évellin l’a tenté. Ce n’est pas ici le lieu de discuter son ingénieuse théorie : mais le subtil philosophe ne nous en voudra pas si nous disons qu’elle n’est pas sans présenter quelque difficulté. En tous cas, si Zénon mérite le nom de sophiste pour avoir invoqué l’argument de la Flèche, il faudra donner le même nom à bien d’autres philosophes, entre autres à Pascal.

Reste le Stade, dont personne, si ce n’est Bayle, et encore avec timidité, n’a osé prendre la défense. Si l’interprétation que nous en avons donnée est exacte, il se justifie de lui-même. Il signifie qu’on peut toujours, par le mouvement, diviser un instant supposé indivisible. C’est au fond le même argument par lequel Leibniz démontrait que le concept du mouvement le plus rapide possible est un concept contradictoire. Ainsi compris, le Stade est à la Flèche ce que l’Achille est à la Dichotomie : il présente la même idée sous