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LES ARGUMENTS DE ZÉNON D’ÉLEE

indivisible tel qu’on ne puisse, non seulement concevoir, mais réaliser par une expérience des plus simples, un mouvement qui divise cet instant. (Et on pourrait en dire autant de l’unité d’espace supposée indivisible : le même élément devrait s’élargir au point de contenir au même instant deux éléments de même dimension.) Dire que l’instant est divisé en deux parties égales, c’est, dans l’hypothèse, dire qu’il est le double de lui-même.

II

Quelle est la valeur des quatre arguments ainsi interprétés ? Si hardie que puisse paraître une telle assertion, nous n’hésitons pas à dire qu’ils sont tous irréprochables.

Nous ne saurions, sans dépasser démesurément les limites de ce travail, passer en revue toutes les réfutations, toutes les solutions de la difficulté que philosophes et mathématiciens se sont plu à imaginer. Il suffira de rappeler, après bien d’autres, que la plupart des critiques sortent de la question, ou du moins ne la posent pas dans les termes où Zénon l’a posée. Par exemple, lorsque Aristote, qui a plus tard retiré cette objection, remarque contre la Dichotomie et l’Achille que le temps est, comme l’espace, divisible à l’infini, et qu’il n’y a rien d’impossible à franchir des infinis dans un temps infini ; lorsque Leibniz déclare qu’un espace divisible sans fin se passe dans un temps divisible sans fin, ils sont évidemment l’un et l’autre à côté de la question. Zénon sait très bien, sa démonstration même l’exige, que l’espace et le temps se comportent de la même façon, qu’ils sont ensemble, toujours et parallèlement, divisibles à l’infini. La question est de savoir comment, dans l’un et dans l’autre, cette série de divisions, par définition inépuisable, peut être épuisée, et il faut qu’elle le soit pour que le mouvement se produise. Ce n’est pas répondre que de dire qu’elles s’épuisent simultanément[1]. Le mode de réfutation adopté par les mathématiciens

  1. Voir sur ce point le lumineux chapitre, déjà cité, de M. Renouvier. Cf. Esquisse d’une classification systématique des doctrines philosophiques, t. I, p. 38.