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363] ou le beau absolu. Cette perfection, qui est le dernier terme des choses, a été conçue de bien des manières différentes ; mais qu’on définisse Dieu avec Platon l’idée du bien, ou avec Aristote une pensée qui se pense elle-même, ou avec les Stoïciens une raison, un lÒgoj immanent au monde et travaillant à réaliser la plus grande beauté, toutes ces philosophies, si différentes qu’elles soient, s’accordent au moins en un point. C’est l’intelligence qui est l’attribut essentiel de la divinité.

Tout autre est la conception à laquelle s’était arrêté le peuple juif et qu’il devait finir par imposer au monde. D’abord Dieu est infini, et ce terme désigne la forme la plus parfaite de l’existence ; par suite il ne peut plus être question d’une matière existant par elle-même, à quelque titre que ce soit. Le monde est l’œuvre de Dieu, il est créé ex nihilo ; il est toujours devant lui comme s’il n’était pas. Dès lors Dieu n’est plus considéré comme une intelligence ou une pensée s’efforçant de réaliser un idéal, il est bien plutôt une force, une puissance infinie en tous sens, insaisissable à la raison humaine. On dirait une volonté, si ce mot n’impliquait d’ordinaire quelque rapport à l’intelligence. Tel fut le dieu jaloux des anciens Hébreux. Cette conception s’épura peu à peu par la suite ; mais le Dieu resta toujours une force ou une puissance, une volonté si l’on préfère, mais se déterminant elle-même et produisant par son action directe tout ce qui existe. Ce n’est pas une cause formelle ou finale ; il n’a point d’idéal. C’est essentiellement une cause efficiente ou antécédente qui tire d’elle-même la multiplicité infinie de ses effets.

Plotin paraît bien être le premier penseur qui ait introduit cette conception dans la philosophie grecque. A la vérité, Plotin se flatte de rester fidèle à l’esprit grec et de continuer la tradition des Platon et des Aristote ; mais malgré les efforts qu’il fait pour conserver la terminologie de ses devanciers, il est aisé de voir qu’il se fait illusion à lui-même. Il remarque avec une sorte d’ingénuité que le mot infini peut avoir deux sens, l’un positif, l’autre négatif, et il les adopte tous deux, attribuant l’infinité à l’unité que Platon avait conçue comme une pure idée. De même le mot puissance ne désigne plus seulement chez lui comme chez Aristote une simple possibilité, mais au sens positif une force active, une énergie toujours [364]