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359] de l’avant-dernière proposition de l’Éthique. « Alors même que nous ne saurions pas que notre âme est éternelle, nous ne cesserions pas de considérer comme les premiers objets de la vie humaine la piété, la religion, en un mot tout ce qui se rapporte, ainsi qu’on l’a montré dans la quatrième partie, à l’intrépidité et à la générosité de l’âme. » On ne soupçonnera pas qu’au moment de terminer son grand ouvrage Spinoza ait été pris d’un doute sur la valeur des considérations métaphysiques qu’il vient de présenter, ou qu’il ait été arrêté par un scrupule de logicien. Mais bien plutôt il a voulu affirmer une fois de plus et hautement l’idée maîtresse que nous avons vu si nettement exposée dans le Traité. Ce qui importe avant tout selon lui, et ce qu’il met au-dessus de la science aussi bien que de la morale, ce sont la justice, la charité et l’amour de Dieu. La connaissance rationnelle et la foi ne sont en dernière analyse que des moyens en vue de cette fin. S’il écrit l’Éthique, c’est pour prouver que la raison, à l’aide de la lumière naturelle, conduit à la vertu et à l’amour de Dieu. S’il écrit la première partie du Traité théologico-politique, c’est pour montrer que la foi a pour objet essentiel la vertu et la piété. S’il écrit la seconde partie du Théologico-politique et le Traité politique, c’est sans doute pour réclamer la liberté absolue de penser ; nais il ne réclame cette liberté elle-même qu’après avoir mis à part et exigé, comme une condition préalable et essentielle, la pureté des mœurs et l’amour du prochain. Si cette condition n’était pas remplie, on l’a vu ci-dessus, le même philosophe qui réclame la tolérance serait bien prés de devenir intolérant. Ainsi la morale est toujours placée au-dessus de toute considération philosophique et religieuse. Il a une confiance si entière, on pourrait dire si ingénue, dans la puissance de la vérité et la force de la raison, qu’il ne lui vient pas à l’esprit qu’un homme sensé, obéissant à la lumière naturelle, puisse ne pas pratiquer les vertus dont il a lui-même donné l’exemple. Tous les actes de sa vie, en même temps que toutes les parties de son œuvre, sa métaphysique, sa théologie, sa politique, son érudition même aboutissent [360]