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confiance dans la vérité et dans la puissance de l’esprit est absolue. Mais il connaît aussi les limites de notre esprit et son orgueil dogmatique ne va pas jusqu’à penser que les bornes de l’esprit sont celles de la réalité. C’est ce que montre clairement un curieux passage d’une de ses lettres, écrite après la composition de l’Éthique : « N’allez pas croire que je nie l’utilité des prières ; car mon esprit est trop borné pour déterminer tous les moyens dont Dieu se sert pour amener les hommes à l’aimer, c’est-à-dire à faire leur salut. Mon sentiment n’a donc rien de nuisible, et tout au contraire il est pour tout homme, dégagé de superstition puérile et de préjugés, le seul moyen de parvenir au comble de la béatitude. » Dans la même lettre, Spinoza semble aussi faire une place à la certitude morale. « Si nous ne pouvions pas étendre notre volonté hors des limites si étroites de notre entendement, nous serions les plus malheureux des êtres, incapables de faire un pas, de manger un morceau de pain, de subsister deux instants de suite, car notre existence est entourée de périls et d’incertitudes. » Dans cette lettre, on le voit, Spinoza parle exactement le même langage que dans le Traité. D’autres passages de la correspondance attestent qu’il reste fidèle au même point de vue : « J’ai dit au chapitre IV que toute la substance de la loi divine et son précepte fondamental, c’est d’aimer Dieu à titre de souverain bien ; je dis à titre de souverain bien et non point par crainte de quelque supplice, l’amour ne pouvant naître de la crainte ; ou par amour pour tout autre objet que Dieu lui-même, car autrement ce n’est pas tant Dieu que nous aimerions que l’objet final de notre désir. J’ai montré dans ce même chapitre que cette loi divine a été renouvelée par Dieu aux prophètes ; et maintenant, soit que je prétende qu’elle a reçu de Dieu lui-même la forme d’une législation, soit que je la conçoive comme enveloppant, ainsi que tous les autres décrets de Dieu, une nécessité et une vérité éternelles, elle n’en reste pas moins un décret divin, un enseignement salutaire ; et après tout, que j’aime Dieu librement ou par nécessité du [