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355] divine a librement établi la vérité et le bien. Quoique cette conception soit jugée par Spinoza fort supérieure à la précédente, elle ne lui paraît pas encore satisfaisante. Elle introduit, selon lui, l’indifférence et l’arbitraire dans la nature divine. La théorie de Spinoza concilie en quelque manière celle des anciens philosophes et celle de Descartes. Avec la première elle considère la vérité comme immuable et éternelle : c’est l’intelligence même de Dieu ; mais avec la seconde elle place à l’origine de toutes choses la volonté en même temps que l’intelligence. La volonté est l’essence même prise comme active, et on peut dire que les vérités éternelles n’existent que parce que Dieu les affirme. Le Dieu de l’Éthique, comme celui de Descartes, est affranchi de toute dépendance à l’égard d’une fin quelconque puisqu’il existe seul. Mais sa volonté n’est point indifférente, elle est déterminée nécessairement par son intelligence et, à vrai dire, ne fait qu’un avec elle. Pour Dieu, comprendre et agir sont une seule et même chose. Le philosophe s’inscrit en faux contre les partisans du fatum : Dieu est vraiment libre puisqu’il n’obéit qu’à lui-même. Spinoza se flatte ainsi d’attribuer à Dieu la véritable liberté, puisque, s’il est déterminé, c’est uniquement par lui-même. Agir conformément à la raison, c’est pour un être raisonnable la suprême liberté : Socrate et Platon avaient déjà dit quelque chose de semblable. Spinoza a donc le droit de dire que Dieu est une cause libre. La liberté et la conscience se déduisent en même temps et de la même manière de son essence.

Ainsi, à ne considérer même que ses attributs métaphysiques, Dieu apparaît dans l’Éthique comme doué de conscience et de liberté. Il faut songer maintenant que la pensée et l’étendue divines, les seules que nous connaissions clairement, ne sont pas tous les attributs de Dieu. Parmi les attributs en nombre infini que Dieu possède en outre, rien ne s’oppose à ce qu’il s’en trouve d’autres tels que ceux que l’on désigne ordinairement sous le nom d’attributs moraux. Spinoza est peut-être le plus dogmatique des philosophes ; sa [356]