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il est une substance, et cette substance unique est déterminée par une infinité d’attributs infinis. La substance ne se conçoit pas plus sans les attributs que les attributs sans la substance. Entre la substance et l’attribut il n’y a en dernière analyse qu’une différence nominale. Il est vrai que toute détermination est une négation. Mais cela n’est rigoureusement exact qu’au regard de l’intelligence humaine, parce que en nommant un attribut à l’exclusion des autres nous négligeons ou nions tout ce qui n’est pas cet attribut. Mais, dans l’absolu, une infinité de déterminations constitue la détermination suprême ou la suprême réalité. Notre pensée ne peut atteindre que deux de ces attributs ; mais il est clair que cette impuissance de notre esprit n’empêche pas l’Être d’en posséder une infinité d’autres ; et peut-être, sans connaître ces attributs, pouvons-nous, par une autre voie, les entrevoir ou les deviner. Le Dieu des Juifs, avec lequel la Substance de Spinoza présente d’incontestables ressemblances, est aussi une puissance unique et infinie ; il est cependant le plus personnel de tous les dieux puisqu’il est un dieu jaloux. Spinoza supprime la jalousie comme indigne de Dieu mais il lui laisse l’individualité. Dans la célèbre formule qui résume assez bien cette doctrine, ego sum qui sum, ce n’est pas seulement l’être qui est affirmé par deux fois ; le verbe est employé deux fois à la première personne du singulier, et le mot ego n’est peut-être pas le moins important des trois. De même, dans la conception traditionnelle de la divinité, on ne fait aucune difficulté de dire que Dieu est l’être infini et unique et qu’à tous ses attributs métaphysiques s’ajoutent des attributs moraux.

Dans le Scholie de la Proposition 17, partie I, Spinoza s’applique à démontrer qu’il n’y a entre l’intelligence et la volonté de Dieu, d’une part, et l’intelligence et la volonté de l’homme, d’autre part, qu’une ressemblance toute nominale. Il y a entre l’intelligence divine et la nôtre une différence profonde. Celle-ci est postérieure à son objet tandis qu’en Dieu, ainsi que l’ont entrevu quelques philosophes, l’intelligible [350]