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d’un philosophe et se place exclusivement au point de vue de la science. Tout ce que peut exiger la critique la plus sévère, c’est qu’il n’y ait point de contradictions ou de différences essentielles entre les thèses de l’Éthique et les conclusions du Traité. Celles-ci seront suffisamment justifiées si elles s’accordent avec celles-là. Or il n’y a pas dans l’Éthique une seule ligne qui contredise directement ou expressément l’interprétation que nous venons de résumer.

Il est vrai que l’ouvrage tout entier semble en parfaite opposition avec elle. C’est qu’à défaut d’une contradiction directe on interprète d’ordinaire les doctrines de l’Éthique dans un sens tout opposé, il faut donc examiner ces doctrines elles-mêmes et voir si réellement et prises dans leur vrai sens elles excluent le point de vue auquel se place le Traité. On peut ramener à quatre principales les thèses de l’Éthique qui paraissent incompatibles avec l’hypothèse d’un dieu personnel : 1° Dieu est défini comme la substance une, immuable, infinie et universelle ; 2° son entendement et sa volonté n’ont rien de commun avec les nôtres et ne leur ressemblent pas plus que le Chien, constellation céleste, ne ressemble au chien, animal aboyant ; 3° Dieu est étendu et l’étendue est l’essence même des corps ; Dieu, comme dit expressément Spinoza, est chose étendue ; il se confond donc avec le monde ; 4° sa volonté ne diffère point de son entendement ; en d’autres termes, il n’a point de libre arbitre et sa prétendue liberté n’est autre chose qu’une nécessité sans contrainte.

Il est à peine besoin de remarquer que la substance une et infinie n’est pas l’être au sens général ou universel, l’être abstrait, le substrat ou le contenant de toutes les modalités. L’Être en général est, selon Spinoza, un terme transcendantal et ne correspondant à aucune réalité. Spinoza est très nettement nominaliste et adversaire déclaré des universaux. Seuls, suivant lui, les individus existent, même dans le monde que l’expérience nous fait connaître. A plus forte raison en est-il de même de l’Être par excellence, de l’Être parfait et infini. Le Dieu de Spinoza n’est pas la substance, [249]