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343] Albert Burgh : « Oui, je le répète avec Jean, c’est la justice et la charité qui sont le signe le plus certain, le signe unique de la vraie foi catholique : la justice et la charité, voilà les véritables fruits du Saint-Esprit. Partout où elles se rencontrent, là est le Christ, et le Christ ne peut être là où elles ne sont plus, car l’Esprit du Christ peut seul nous donner l’amour de la justice et de la charité. » De même dans les autres lettres, où il parle si librement et quelquefois si crûment, Spinoza s’exprime en des termes qui donnent singulièrement à réfléchir : « Je prends comme vous au sens littéral la passion, la mort et l’ensevelissement de Jésus-Christ. C’est seulement sa résurrection que j’interprète au sens allégorique. »

On dira peut-être que, dans toute cette théorie sur le Christ, la révélation et la religion, Spinoza n’exprime pas le fond de sa véritable pensée, mais se place, pour un moment, au point de vue de ses adversaires et s’efforce de leur arracher, au nom de leur propre principe, certains aveux qu’il juge utiles à sa propre thèse. L’objet qu’il s’est proposé en écrivant le Traité théologico-politique, c’est, il le répète à plusieurs reprises, de séparer la philosophie de la théologie, et il veut faire cette séparation pour obtenir qu’on laisse au philosophe, dans son domaine indépendant, une entière liberté de pensée. Ne peut-on supposer que, pour persuader les politiques et les théologiens, Spinoza se place au point de vue même de l’Écriture qu’il tient momentanément pour authentique, et qu’il s’efforce d’amener à ses vues ceux-là mêmes qui ne connaissent pas d’autre autorité ? Mais s’il n’écoutait que ses propres convictions, Spinoza s’en tiendrait à la pure philosophie et laisserait de côté tout ce qui ne dérive pas nécessairement des idées claires et distinctes.

Une telle supposition peut paraître séduisante. Toutefois elle ne s’accorde guère avec la manière ordinaire de Spinoza. Il n’a pas de goût pour les artifices de la rhétorique, et il dit ce qu’il pense d’un ton très tranchant et quelquefois brutal. [344]