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choses concevables je n’entends pas seulement celles qui se démontrent d’une façon rigoureuse, mais aussi celles que notre esprit peut embrasser avec une certitude morale, et que nous concevons sans étonnement, bien qu’il soit impossible de les démontrer. Tout le monde conçoit les propositions d’Euclide avant d’en avoir la démonstration. De même les récits historiques, soit qu’ils se rapportent au passé ou à l’avenir, pourvu qu’ils soient croyables. Les institutions des peuples, leur législation, leurs mœurs, voilà des choses que j’appelle concevables et claires, quoiqu’on n’en puisse donner une démonstration mathématique. » Les prophètes n’étaient pas, d’ailleurs, plus instruits ou plus intelligents que les autres hommes. Dans la Bible, en effet, les vrais sages, tels que Salomon, ne sont pas donnés comme doués du don de prophétie, et, d’autre part, la force même de l’imagination des prophètes est en opposition avec celle de l’entendement ou de l’intelligence.

De même qu’il y a deux certitudes, il y a deux puissances distinctes et entièrement indépendantes l’une de l’autre, la philosophie et la théologie, nous tenons pour une vérité inébranlable que la théologie ne doit pas relever de la raison ni la raison de la théologie, mais que chacune est souveraine dans son domaine. De même encore il y a deux manières d’arriver à la béatitude et d’assurer son salut. Le philosophe y parvient en conformant sa conduite à la raison, c’est-à-dire en comprenant que la vertu est le suprême bien, en domptant ses passions, en observant la justice, la charité, et en aimant son prochain comme lui-même. Les autres hommes atteignent le même but en obéissant aux préceptes de la religion ou aux règles de la piété. Par des chemins différents ils arrivent aux mêmes points, pour des raisons différentes ils accomplissent les mêmes actions.

C’est qu’en effet, selon Spinoza, ce qui importe avant tout, c’est la conduite de l’homme. La science n’a tout son prix que parce qu’elle s’achève naturellement par la vertu qui en est aussi inséparable que la chaleur du soleil. De son côté, la [