Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xxvi
INTRODUCTION

d’anarchie auquel avait abouti sur les problèmes moraux la philosophie contemporaine, de plus en plus déprise du kantisme, mais trop justement éprise encore de l’autonomie de la conscience pour la livrer aux procédés ordinaires des sciences positives, il jugeait urgent de reprendre, en l’élargissant, cette morale de la nature humaine dont Aristote avait fourni l’impérissable modèle, et à laquelle tous les philosophes grecs avaient plus ou moins utilement collaboré. Lui-même paraît, à certaines heures, avoir formé le dessein de reconstituer selon cette méthode la théorie des règles de la conduite ainsi que l’explication des vertus individuelles ou sociales. Ce fut en tout cas la pensée qui inspira ses fameux articles sur la Morale ancienne et la morale moderne, et sur la Morale éclectique[1] ; écrits avec autant d’éclat que de fermeté, mettant au service d’une conviction longuement méditée une polémique incisive, faisant ressortir avec beaucoup d’art les oppositions dissimulées dans des amalgames d’idées hétérogènes, ils n’eurent pas seulement pour résultat de provoquer d’instructives controverses : ils allèrent secouer jusqu’au fond la curiosité et la réflexion de tous les esprits intéressés par ces grands problèmes.

Cette position que prenait Brochard en faveur de la morale ancienne et contre la morale de Kant était-elle dans le développement de ses idées quelque chose d’absolument nouveau, ou bien lui était-elle en partie commandée par les directions antérieures de sa pensée ? Peut-être penchera-t-on vers cette seconde façon de voir si l’on prend garde que c’est le contact avec les anciens qui a suscité ou tout au moins entièrement renouvelé ses préoccupations sur les questions morales, si l’on se représente en outre dans quelles limites il avait adhéré au criticisme de Renouvier et ce qu’il en avait surtout retenu[2]. Il en avait surtout retenu la conception d’un

  1. P. 489-503 ; p. 504-538.
  2. Une courte étude que Brochard avait donnée dès 1875 à la Société des sciences, lettres et arts de Pau (Bulletin de la Société, 2e série, t. IV) sur l’universalité des idées morales ne contient rien qui soit spécifiquement kantien ni qui soit inspiré par le livre de Renouvier sur la Science de la Morale.