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XXV
INTRODUCTION

un autre nom de la Providence. La soumission à la volonté divine ou la résignation est le dernier mot de la sagesse[1]. »

Ces lignes attestent assez que s’il accomplissait en toute conscience et selon des méthodes rigoureusement objectives son métier d’historien, Brochard ne renonçait nullement à ses préoccupations de philosophe. Il se refusait à regarder les théories philosophiques du passé comme des faits extérieurs et lointains, destitués désormais de toute valeur et de toute fécondité spirituelle. La sagesse antique visiblement l’enchantait de plus en plus. N’avait-il pas lui-même, à la méditer, trouvé en elle les raisons et les moyens de soutenir avec courage une existence douloureuse ? Pourquoi n’essaierait-on pas d’en maintenir les maximes, les principes et les procédés de justification tout en l’adaptant aux conditions plus complexes de la science et de la vie modernes ? Brochard estimait donc finalement que la morale des anciens reste le type de la morale humaine, naturelle, philosophique, distincte de la morale transcendante et théologique, en ce qu’elle ne fait intervenir en rien l’idée de révélation surnaturelle, d’autorité extérieure, de commandement, en ce qu’elle invoque l’expérience et la raison seules pour fixer les règles du développement de nos tendances et pour nous orienter vers le bien identique au bonheur. Il ne songeait pas à exclure pour cela la morale religieuse dont il reconnaissait bien volontiers, dans un esprit, semble-t-il, assez voisin de celui de Spinoza, la nécessité et la bienfaisance pratiques ; mais il ne voulait pas une immixtion des concepts qui lui appartiennent et qui la caractérisent dans le domaine de la morale philosophique. Il était convaincu que la plupart des morales modernes, et en particulier la morale de Kant, n’avaient guère fait que transposer ces concepts quand elles s’imaginaient recourir à des principes purement rationnels, et dans l’état de confusion et

  1. La Théorie du Plaisir d’après Épicure, p. 292.