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XXIII
INTRODUCTION

flatter d’avoir retrouvé dans le platonisme le germe des principales théories morales de l’aristotélisme[1].

Il excellait, au reste, à saisir la filiation des idées à travers les différents systèmes de la philosophie ancienne. Et par là il put donner toute la force et toute la clarté possibles à son interprétation si neuve de la théorie épicurienne du plaisir[2]. Frappé par le fait, que les disciples d’Épicure, de l’aveu même de Cicéron, n’admettaient pas le sens donné par leurs adversaires à la doctrine de leur maître, il s’était demandé s’il ne fallait pas tenir plus de compte qu’on ne l’avait fait de cette récusation et si l’on pouvait continuer de soutenir que l’Épicurisme avait réduit le plaisir à l’absence de douleur. Les textes dont nous disposons ne sont pas assez décisifs pour résoudre la question sans conjectures ; mais ils peuvent être éclairés et complétés par l’examen des théories qui ont précédé et préparé la théorie épicurienne. Cet examen conduisit Brochard à découvrir un rapport très précis entre la théorie épicurienne et la théorie aristotélicienne sur le point même où s’étaient produits les malentendus : le plaisir constitutif, si l’on comprend bien le sens du mot ϰατάστημα, est lié à un état d’équilibre des différentes parties du corps vivant, et cet état d’équilibre est dans une philosophie mécaniste comme celle d’Épicure l’équivalent de ce qu’était l’acte dans la philosophie finaliste d’Aristote ; la suppression de la douleur, en vertu du jeu naturel des organes, laisse l’équilibre corporel se rétablir : alors naît le plaisir, qui, comme on le voit, n’a dans l’absence de douleur qu’une condition négative et préparatoire, qui a dans l’équilibre sa condition positive et directe. Ainsi rattachée à la tradition philosophique antérieure, qu’elle interprète seulement dans le sens de ses principes physiques, la doctrine d’Épicure apparaît innocente des confusions ou des paradoxes qu’on lui reproche. Elle a cepen-

  1. La Morale de Platon, p. 169-219.
  2. La Théorie du plaisir d’après Épicure, p. 252-293. — La Morale d’Épicure, p. 294-299.