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LA LOGIQUE DES STOÏCIENS

cultés, ainsi que l’atteste le long débat soulevé par la théorie platonicienne de la participation. Ce n’est pas sans peine que cette conception s’est imposée ; mais, quoi qu’il en soit, elle a prévalu, et il est admis à titre de postulat, si l’on veut, qu’une même chose, l’idée, peut être à la fois en elle-même et hors d’elle-même, une et multiple. Mais quand on abandonne à tort ou à raison ce point de vue, quand on s’interdit de propos délibéré de spéculer sur des idées déclarées irréalisables, il en est tout autrement. La proposition et le raisonnement stoïciens portent uniquement sur des réalités, et en cela sans doute leur Logique ressemble à celle d’Aristote ; et on voit ici la différence du point de vue antique et du point de vue moderne ; il n’y a pas dans l’antiquité de Logique formelle au sens que les modernes donnent à ce mot. Mais les stoïciens se séparent tout aussitôt d’Aristote en déclarant que les réalités dont il s’agit sont des êtres individuels, et il faut savoir qu’ils refusent expressément d’admettre que deux êtres, même deux grains de blé, même deux œufs ou deux cheveux, soient assez semblables entre eux pour être indiscernables. Ce n’est plus sur ce qu’il y a de commun entre les êtres que porte le raisonnement, mais au contraire sur la différence, sur le propre, ἰδίως ποιόν, ou encore la qualité essentiellement individuelle. Dès lors, si les stoïciens sont d’accord avec eux-mêmes, s’ils ne veulent renoncer ni à leur nominalisme ni à leur réalisme, il faut bien que leur théorie logique n’implique pas des identités partielles ou totales entre les éléments soit de jugement, soit de raisonnement.

En fait, les textes prouvent jusqu’à l’évidence que ce qu’affirme uniquement la proposition, c’est, non pas que deux choses d’ailleurs différentes soient identiques, mais seulement qu’elles se suivent constamment. S’il y a ressemblance ou identité, c’est uniquement dans l’ordre de succession et non pas dans les choses elles-mêmes. C’est ainsi que l’idée de loi se substitue d’elle-même à celle d’essence, et il s’agit ici, non d’une différence de détail, mais d’une différence profonde commandée par la logique même du système.

On peut s’assurer que tel est bien le point de vue des stoïciens en se rappelant leur théorie de la définition et leur théorie de la démonstration.