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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

pour être le bien. Mais c’est une question de savoir si l’argument qu’il invoque contre Aristippe ne se retourne pas contre lui-même. Comment le plaisir, s’il n’a pas assez de réalité pour être un bien, en aurait-il assez pour être une partie du souverain bien ? Le tout ne saurait être essentiellement différent de ses parties, et comment, avec des éléments dont un au moins n’est ni un être ni une qualité, pourrait-on former un mélange ou une combinaison durable ?

En outre, ce en sont pas seulement les plaisirs vrais, c’est-à-dire sans mélange, que Platon fait entrer dans la composition du bien, ce sont encore ceux des plaisirs corporels qui sont nécessaires ; mais ces plaisirs, ayant pour condition le désir ou la privation, sont d’après les textes les plus formels des négations ou de simples prestiges. Comment donc pourraient-ils entrer dans la composition du vrai bien ? On ne saurait justifier cette introduction du plaisir négatif dans la définition du bien, en rapprochant les plaisirs de cet ordre de sciences usuelles ou inférieures nécessaires aussi à la vie pratique. La symétrie, en effet, n’est ici qu’apparente. Les sciences inférieures, et même les arts mécaniques, si humbles qu’ils soient, participent en quelque manière à la vérité. Ce sont des opinions vraies, et si éloignés qu’elles soient de la science véritable, elles ne sont pas du moins en contradiction avec elle. Les plaisirs mélangés, au contraire, sont essentiellement des plaisirs faux. Ils n’ont pas même cette sorte de réalité qui appartient aux plaisirs purs. Ils sont de simples prestiges. Comment donc, avec des éléments dont quelques-uns n’ont aucune réalité, composer une chose vraie et durable ?

Enfin il y a un autre point où la pensée de Platon paraît être restée confuse et indécise. Dans la République et dans le Philèbe, on l’a vu ci-dessus, il refuse expressément d’admettre qu’il y ait un état intermédiaire entre le plaisir et la douleur, qui serait un repos, puisque le plaisir et la douleur sont toujours des mouvements. Dans d’autres passages, cependant, il reconnaît un genre de vie qui serait un juste milieu entre le plaisir et la douleur qui sont toujours des mouvements. Un tel état est le plus heureux de tous, c’est le genre de vie qui appartient aux dieux et aux plus sages d’entre les hommes. Cette théorie se trouve indiquée dans