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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

pas contesté pour cela que le plaisir en lui-même fût un bien ou qu’il y eût de bons plaisirs. Il l’avait même expressément affirmé dans ce texte du IXe livre de la République (584, B), où il oppose les plaisirs purs aux plaisirs mélangés : c’est exactement la même doctrine que dans le Philèbe. Seulement, dans les premiers dialogues, Platon n’avait parlé qu’en passant de l’insuffisance de la vertu, et il s’était étendu complaisamment sur celle du plaisir. Sans rien céder sur ce dernier point, dans le Philèbe, il insiste davantage sur le premier.

La définition du souverain bien dans le Philèbe est fondée sur une discussion et une analyse psychologique à la fois très approfondies et très pénétrantes. Ni l’intelligence prise exclusivement, ni le plaisir mis à part de tout autre mobile, ne méritent le nom de bien. Il faut donc les unir ; mais, dans ce mélange, la part faite à chacun des éléments ne doit pas être égale, il faut la proportionner à la valeur de chacun d’eux et, pour cela, définir avec exactitude leur nature. D’autre part, ce mélange ne doit pas comprendre indistinctement ni toutes les sciences ni tous les plaisirs. Il en est qu’il faudra éliminer. Pour faire ce choix avec discernement et rigueur il est nécessaire de distinguer nettement et méthodiquement les différentes sortes de sciences et de plaisirs. Enfin le mélange n’aura de valeur que s’il est accompli d’après une règle ou un canon, s’il est conforme aux exigences de la raison. Telles sont les principales thèses qui conduisent Platon à sa définition du souverain bien. Résumons-les brièvement.

C’est une chose évidente pour Platon que l’intelligence à elle toute seule ne saurait suffire à rendre la vie heureuse (Phil., 21, D). « Quelqu’un de nous voudrait-il vivre, ayant en partage toute la sagesse, l’intelligence, la science, la mémoire qu’on peut avoir, à condition qu’il ne ressentirait aucun plaisir, ni petit ni grand, ni pareillement aucune douleur, et qu’il n’éprouverait absolument aucun sentiment de cette nature ? » Réciproquement le plaisir cesserait d’être souhaitable s’il était complètement séparé de l’intelligence. « Vivant au sein des plaisirs, mais n’ayant ni intelligence, ni mémoire, ni science, ni jugement vrai, c’est une nécessité, qu’étant