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LA MORALE DE PLATON

pas d’énergie plus intense que la pensée. Son Dieu est une pensée pure, et l’homme lui ressemble d’autant plus qu’il pense davantage. Ici encore l’accord est complet entre le maître et le disciple. C’est par la contemplation des vérités éternelles que l’homme peut dès la vie présente s’immortaliser. Beaucoup d’autres philosophes qu’on ne saurait considérer comme des mystiques ou des ascètes, Spinoza par exemple, diront à peu près la même chose.

III

De même que la vertu intellectuelle se distingue de la vertu pratique et que la justice en soi est fort au-dessus de la justice populaire et politique, de même le bien peut être envisagé à deux points de vue : d’abord, au regard de l’homme, en tant qu’il peut être possédé ou réalisé ici-bas, puis en lui-même en dehors de toute relation. La plupart des moralistes ont distingué le bien moral et le bien absolu.

De ces deux questions, c’est la première que Platon a discutée avec le plus de soin. Il y revient jusqu’à trois fois dans le Gorgias, dans la République et dans le Philèbe. On sent qu’elle a fait l’objet de ses constantes méditations, et, chaque fois qu’il y revient, c’est pour l’approfondir davantage et mieux justifier la solution qu’il en propose.

Aucun moraliste en aucun temps n’a posé le problème capital de la morale avec plus de conscience de ses difficultés et plus de hardiesse que Platon. Les anciens, bien différents en cela des modernes, ne pouvaient concevoir le bien sans le bonheur ; car que serait un bien qui ne serait pas bon, avantageux, profitable, agréable ou utile à celui qui le possède ? Si la vertu est un bien, elle doit donc nécessairement conduire au bonheur ; si elle n’est pas identique au bonheur, elle n’est rien et ne vaut pas une heure de peine. Si on formule cette proposition en termes négatifs, on dira, la justice étant prise pour la vertu principale, que c’est un plus grand mal de commettre l’injustice que de la subir, et que, quand on a eu le malheur de la commettre, le plus grand bien qu’on puisse souhaiter est d’être châtié afin de ramener