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LA MORALE DE PLATON

lesquels le corps est appelé un tombeau, où le sage doit se hâter de fuir le plus tôt possible le monde présent, dans lesquels la vie est envisagée comme la préparation à la mort. Toutefois, en y regardant de plus près, la pensée de Platon est toute différente. La vie contemplative serait peut-être inerte et passive si les Idées n’étaient pour Platon, comme on le dit souvent, que de pures abstractions. Mais elles sont des réalités actives et vivantes, et surtout il y a place dans son système pour une théorie de l’amour qui permet d’éclaircir sa pensée sur ce point important. Nous ne saurions entrer ici dans une étude approfondie de cette théorie ; rappelons seulement que toute la première partie du Banquet est consacrée à réfuter des théories sophistiques sur l’amour qui le représentent comme un dieu, c’est-à-dire comme un bien. Pour Platon l’amour n’est pas un dieu ; car il implique toujours le désir, c’est-à-dire privation ou souffrance. C’est un grand démon, intermédiaire entre le bien et le mal. Son vrai rôle est de se mettre au service des Idées, d’en être l’auxiliaire, et sa fonction est alors d’engendrer dans la beauté. Il s’élève des beaux corps aux belles âmes, il s’attache à elles et s’efforce de passer de l’une à l’autre, puis il s’élève aux connaissances les plus vraies. Il est impossible, selon Platon, de connaître le bien sans l’aimer, et on ne peut l’aimer sans s’efforcer de le réaliser, d’abord en soi-même, puis dans les autres. Dans le Phèdre (250, D), Platon dit que l’idée du Bien, si nous pouvions l’apercevoir directement, éveillerait en nous un merveilleux amour : δεινοὺς γὰρ ἂν παρεῖχεν ἔρωτας. La beauté de l’Idée nous apparaît encore comme merveilleuse dans le VIe livre de la République, et un texte du même ouvrage nous montre que Platon se souvient aussi des théories exposées dans le Banquet. Grâce à l’amour la contemplation se tourne ainsi vers l’action. « Celui qui fait son unique étude de la contemplation de la vérité… et ayant les yeux fixés sans cesse sur les objets qui gardent entre eux un ordre constant et immuable, qui sans jamais se nuire les uns aux autres conservent toujours les mêmes arrangements et les mêmes rapports, c’est à imiter et à exprimer en soi cet ordre invariable qu’il met toute son application. Est-il possible, en effet, qu’on admire la beauté d’un objet et qu’on aime à s’en approcher