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LA MORALE DE PLATON

sont cependant qu’un premier degré dans la poursuite de la perfection, et il faut s’élever encore plus haut. Platon remarque, dans le sixième livre de la République (504, D), que l’humanité ne peut jamais réaliser que d’une manière incomplète l’idéal qu’elle conçoit ; il explique aussi un peu plus loin, à la grande surprise de ses jeunes interlocuteurs, que le tableau qu’il vient de tracer n’est qu’une esquisse (ὑπογραφή) et qu’il faut regarder plus haut pour apercevoir l’œuvre achevée (République, VI, 504, C, D, E). « Te rappelles-tu aussi ce que nous avons dit auparavant ?… Qu’on pouvait avoir de ces vertus une connaissance plus exacte, mais qu’il fallait faire un plus long circuit pour y parvenir et que nous pouvions aussi les connaître par une voie qui nous écarterait moins du chemin que nous avions déjà fait… Y a-t-il quelque connaissance plus sublime que celle de la justice, et des autres vertus dont nous avons parlé ? — Sans doute : j’ajoute même qu’à l’égard de ces vertus, l’esquisse que nous avons tracée ne lui suffit pas, et qu’il doit en vouloir le tableau le plus achevé. » La justice en soi, ou l’idée de la justice, est beaucoup plus belle que la justice qui vient d’être définie, et elle est à cette dernière ce que le modèle parfait est à l’ébauche.

Dans un autre passage de la République (V, 500, D), la justice est appelée une vertu populaire. Dans un autre texte du Phédon[1] (82, A), elle est représentée comme une vertu populaire et politique ; et, en effet, on a bien vu par l’analyse précédente comment la définition de la justice est tirée de l’étude de l’État : il s’agit là des vertus de l’homme en société, et ces vertus dépendent de l’éducation donnée par l’État. Il faut sans doute rapprocher de ces divers passages le texte de la République (VII, 518, A) où Platon oppose à ces vertus de l’âme encore très voisines de celles du corps, et qui s’acquièrent par l’éducation et l’habitude, une vertu plus haute encore et plus divine, qui est la sagesse ou plutôt la science. Dans le même passage, le philosophe montre la différence qui sépare ces deux sortes de vertus. Tandis que les premières sont acquises par l’exercice, la seconde est

  1. Εὐδαιμονέστατοι, ἔφη, καὶ τούτων εἰσὶ καὶ τὴν δημοτικὴν καὶ πολιτικὴν ἀρετὴν ἐπιτετηδευκότες, ἥν δὴ καλοῦσι σωφροσύνην τε καὶ δικαιοσύνην, ἐξ ἔθους τε καὶ μελέτης γεγονυῖαν ἄνευ φιλοσοφίας τε καὶ νοῦ.