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LA MORALE DE PLATON

située uniquement dans la partie rationnelle de l’âme. Elle appartient à la partie irrationnelle autant qu’à l’autre. Si l’instinct est irréductible à la raison, la justice est autre chose que la prudence. On ne devra donc pas dire avec Socrate qu’elle est une science. En d’autres termes, ce n’est pas en éclairant l’intelligence par des maximes ou des formules théoriques qu’on peut produire cette vertu. C’est par des habitudes ou des exercices, en d’autres termes encore, c’est par la pratique seule qu’on peut la faire naître ou la développer. Toutes les vertus dont il vient d’être question ressemblent aux qualités corporelles en ce sens qu’elles ont pour origine l’exercice pratique, ἔθεσι καὶ ἀσκήσεσι (République, VII, 518, E). Elles sont l’objet, non de l’instruction, mais de l’éducation.

À vrai dire, pour que la vertu, même ainsi entendue, se produise, ni l’éducation ni l’instruction ne sont suffisantes. Platon reste fidèle à la théorie exposée dans le Ménon et qui fait une place au concours divin. Il y a là une première condition que tous les autres supposent et qui ne dépend ni de la nature ni des volontés humaines. Ce n’est pas à dire que l’action divine s’exerce au hasard et sans règles. Il semble bien que Platon la conçoit comme soumise elle-même à certaines conditions d’ordre et d’harmonie. Ainsi, c’est en choisissant pour accomplir les mariages certains moments de l’année, certaines conjonctions d’astres révélées par la science, que l’on obtiendra les enfants les mieux doués et les plus heureux naturels. C’est faute de respecter ces règles et de prendre ces précautions, que le désordre s’introduit dans les naissances et que les États commencent à décliner (République, VIII, 546, B).

Il y a des cas où, le concours divin ne s’étant pas produit, l’être humain est tout à fait incapable de vertu ; alors les magistrats n’ont pas autre chose à faire, après s’être assurés que le mal est irrémédiable, que de mettre à mort les êtres reconnus incorrigibles (République, III, 410, A). Esculape ne prescrit de remède que pour les maladies passagères et guérissables ; quant aux autres, il les abandonne. Ainsi doit agir le magistrat. On choisit, d’ailleurs, d’après les dispositions qu’ils montrent dès leur enfance, ceux qui feront partie de la