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PHILOSOPHIE ANCIENNE

donné sa doctrine primitive et, à la fin de sa vie, considérait les Idées comme de simples notions générales, comme des pensées réalisées dans une intelligence soit humaine, soit divine. Mais une telle conclusion ne serait légitime que si, entre la théorie des Idées, telle qu’elle a été précédemment exposée, et la doctrine qu’on rencontre dans les Lois, il y avait incompatibilité. Or il n’en est rien. Le même philosophe qui avait inventé la première pouvait, sans cesser d’être d’accord avec lui-même, présenter la seconde. Il suffisait pour cela qu’il y eût une raison de le faire et nous avons indiqué plus haut quelle est pour Platon cette raison : les Lois sont un livre populaire, et certes la théorie de l’âme universelle et celle de la Providence sont plus familières et plus accessibles à l’intelligence vulgaire que la théorie du monde intelligible. La preuve, d’ailleurs, qu’il n’y a point de contradiction entre ce qu’on pourrait appeler les deux moments de la pensée de Platon, c’est que la théorie de l’Âme universelle, principe de mouvement, ingénérable et se suffisant à elle-même, est exposée dans le Phèdre (245. D) presque dans les mêmes termes que dans le Xe livre des Lois. De même la démonstration de l’existence des dieux, de leur Providence et de leur incorruptibilité ne se trouve pas seulement au Xe livre des Lois, mais encore au Xe livre de la République (613, A). Ces théories faisaient donc partie intégrante de la philosophie de Platon, à l’époque même où il formulait sa métaphysique idéaliste, et rien ne lui interdisait de présenter sa doctrine sous cette dernière forme, s’il y trouvait quelque avantage.

Au surplus, si l’Âme du monde est représentée, dans le Xe livre des Lois, comme le premier principe de toutes choses, il est expressément indiqué qu’il s’agit uniquement des choses qui participent à la génération (967, D) : ψυχὴ… πρεσβύτατον ἁπάτον ὅσα γονῆς μετείληφεν (cf. 966, D). Elle est le principe du devenir, mais non pas absolument le principe des choses, et il peut y avoir au-dessus d’elle, dans un monde supérieur, des réalités dont elle dépend. C’est ainsi que, dans le Timée, l’Âme universelle est formée de l’essence du Même et de l’Autre. S’il on était autrement, pourrait-on comprendre que, dans les Lois, Platon admette la possibilité d’une âme