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LES « LOIS » DE PLATON ET LA THÉORIE DES IDÉES

C’est la question que Platon traite avec ampleur à la fin du dialogue, et ici encore nous retrouvons sous une forme un peu différente la même doctrine que dans la République.

À ces magistrats suprêmes, il faut donner une éducation plus raffinée et plus approfondie, et il nous semble impossible, si on lit avec un peu d’attention les pages consacrées à ce sujet, de ne pas reconnaître, malgré les ménagements que prend Platon et les obscurités volontaires dont il enveloppe sa pensée, cette même dialectique dont il parle si longuement dans la République. Nous y voyons en effet que la science suprême à laquelle il faut initier les futurs magistrats des Magnètes est celle qui consiste à réunir la pluralité sous une seule Idée (965, B) : ἀκριβεστέρα σκέψις θέα τ’ ἄν περὶ ὁτουοῦν ὁτῳοῦν γίγνοιτο, ἢ τὸ πρὸς μίαν ἰδέαν ἐκ τῶν πολλῶν καὶ ἀνομοίων δυνατὸν εἶναι βλέπειν ; il s’agit en particulier de comprendre comment les quatre vertus forment en même temps une seule vertu et comment cette vertu unique comprend quatre vertus distinctes. Ce sont les termes mêmes dans lesquels se pose le problème dans des dialogues tels que le Protagoras (329, C) et le Ménon (74, A). Et ce n’est pas seulement à propos de la vertu que se pose expressément le problème de l’un et du multiple, c’est aussi à propos du Bien et du Beau (966, A).

Dira-t-on qu’il s’agit ici de genres purement logiques et que Platon se place à un point de vue seulement conceptualiste ; mais qu’on prenne la peine d’examiner attentivement les textes, on y rencontre des termes tels que ὄντως (465, C), ἀλήθεια, ἀκρίβεια. Dans un texte très significatif, Platon demande si les vertus doivent être ramenées à l’unité ou à un tout ou à tous les deux à la fois (965, D) : μὴ ἀνῶεν, πρὶν ἂν ἱκανῶς εἴπωμεν, τί ποτ’ ἔσστιν, εἰς ὃ βλεπτέον, εἴτε ὡς ἓν εἴτε ὡς ὅλον εἴτε ἀμφότερα εἴτε ὅπως ποτὲ πέφυκεν. — Il n’y a pas un seul mot dans ces pages décisives qui puisse s’interpréter dans un sens conceptualiste ; tout concourt au contraire à montrer que l’objet de la science dont on parle à mots couverts est la suprême réalité, c’est-à-dire le monde des Idées[1]. C’est ainsi

  1. M. Lutoslawski, dans son Interprétation des Lois, p. 512, reconnaît que Platon fait ici allusion à la dialectique et à la même dialectique que dans la République. Or, dans ce dernier dialogue, la dialectique est incontestablement la connaissance des Idées comme choses en soi ou séparées. Si donc