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LES « LOIS » DE PLATON ET LA THÉORIE DES IDÉES

dans un autre passage des Lois (773, E) : « τῆς ἀιεγενοῦς φύσεως ἀντέχεσθαι », achèverait de le dissiper.

Voici maintenant un texte important du ixe livre des Lois, où un examen attentif permet, si nous ne nous trompons, d’apercevoir le fond de la pensée de Platon et de saisir en quelque sorte sur le vif les principes dont il ne cesse pas de s’inspirer. Dans le cours du dialogue, tant qu’il lui est possible de formuler les divers articles de son code civil ou criminel en suivant les notions usuelles et les règles de législation généralement admises, il se garde bien de dépasser le point de vue du sens commun et de remonter aux grands principes. Il ne fait pas de métaphysique et se maintient toujours à un niveau moyen, à la portée de ses interlocuteurs. Dans certains cas, cependant, il se trouve obligé de se séparer des opinions communément admises par les législateurs. C’est ce qui arrive dans le passage indiqué (ix, 859, B). Platon, pour justifier les articles de lois relatifs au sacrilège, sent la nécessité de démontrer l’inexactitude de l’opinion courante qui distingue deux sortes d’injustices : les volontaires et les involontaires. Sa thèse exige qu’il démontre, conformément à la doctrine socratique, que toutes les injustices sont involontaires (860, D). Déjà, dans une discussion précédente, il a dû s’appuyer sur cette maxime (734, B) : « πᾶς ἄκων ἐστὶν ἀκόλατος » ; mais alors il ne l’a pas justifiée, ce n’est pour ainsi dire qu’à regret et à son corps défendant qu’il a recours à une discussion de ce genre. Dans la passage qui nous occupe, il rappelle ce qu’il a déjà dit, et ajoute, car ses interlocuteurs inexpérimentés peuvent l’avoir oublié : « Si je ne l’ai pas dit, prenez que je le dis maintenant » (860, C). Nous n’avons pas à exposer ici la doctrine assez subtile et obscure de Platon et la distinction nouvelle qu’il propose de substituer à celle qui est admise par le sens commun et la majorité des législateurs. Tout ce que nous avons à retenir de cette discussion, c’est que, pour justifier sa thèse, Platon se trouve obligé de remonter aux principes, et aussitôt on voit apparaître la théorie des Idées. Il commence par dire : « Nous devenons législateurs, nous ne le sommes pas encore » (859, C) : νομοθέται γὰρ γιγνόμεθα, ἀλλ' οὐκ ἐσμέν πω, τάχα δὲ ἴσως ἄν γενοίμεθα, ce qui marque sans doute le caractère encore provisoire et