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LES « LOIS » DE PLATON ET LA THÉORIE DES IDÉES

ment marquée. Il faut citer le passage (892, D) : « S’il s’agissait pour nous trois de passer à gué un fleuve rapide, et qu’étant le plus jeune, et ayant déjà passé plusieurs rivières semblables, je vous dise qu’il est à propos que, vous laissant en sûreté sur les bords, j’entre le premier dans l’eau, que je sonde s’il y a quelque endroit guéable pour des vieillards comme vous, que je voie, en un mot, ce qu’il en est ; et que si je juge que vous puissiez le passer, je vous appelle et vous serve de guide à raison de mon expérience : qu’au contraire, si le gué me paraît impraticable, je prenne sur moi le danger de l’essai : je ne vous proposerais rien que de raisonnable. Or c’est le cas où nous sommes. Le sujet où nous allons entrer est un fleuve rapide, qui peut-être même n’est pas guéable, du moins pour vous. Il est donc à craindre qu’il ne vous fasse tourner la tête et ne vous jette dans le plus grand embarras, quand viendra à la traverse un torrent d’interrogations, auxquelles vous n’êtes point exercés à répondre : ce qui vous mettrait dans une situation peu séante et désagréable pour des personnes de votre âge. Voici donc le parti que je crois devoir prendre. Je m’interrogerai d’abord moi-même, et je répondrai ; cependant vous écouterez en toute sûreté. Je poursuivrai cette dispute jusqu’à ce que j’aie conclu ce que je veux démontrer, que l’âme est plus ancienne que le corps. — Clinias. Je trouve cet expédient admirable. Exécute la chose comme tu viens de dire ». On comprend que s’adressant à de tels interlocuteurs, Platon se soit interdit de parti-pris toute allusion à des doctrines abstraites et difficiles, tout à fait étrangères au débat et que ses auditeurs n’auraient pas comprises. Cependant, si l’on veut y regarder de très près et en quelque sorte lire entre les lignes, on peut, croyons-nous, s’assurer que la théorie des Idées inspire toujours les raisonnements du philosophe. Invisible dans ses paroles, elle est toujours présente à sa pensée. Il n’en parle pas, mais il y pense toujours. C’est ce dont on peut s’assurer par l’examen attentif de trois ou quatre passages importants.

Considérons d’abord le long passage (668, C. sqq.) relatif à la Musique. Tout le monde accorde qu’elle est une imitation ou une image : μίμησις, εἰκών, ἀπεικασία. Mais, pour en parler savamment, il faut savoir de quoi elle est l’imitation, il faut