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LES « LOIS » DE PLATON ET LA THÉORIE DES IDÉES

légitimement ni qu’il ne connaissait pas encore cette théorie, ni qu’il l’avait abandonnée.

Il est vrai que, dans la République, où il traite un sujet analogue, Platon a trouvé plusieurs fois l’occasion de parler de la théorie des Idées. Mais il faut observer d’abord que la République ne traite pas seulement la question de l’État ; l’objet propre de l’ouvrage, tel qu’il est indiqué au début, est la recherche d’une définition de la justice, donnée enfin au IXe livre, après de longues recherches, et c’est pour découvrir où est la justice que Platon trace le plan de la cité idéale. Il y a dans ce dialogue, ainsi qu’il arrive souvent chez Platon, deux questions distinctes, étroitement liées et enchevêtrées, mais qu’il ne faut cependant pas confondre. En outre la cité dont Platon donne le modèle dans la République est la cité idéale et parfaite, telle qu’elle pourrait exister, si elle était composée de dieux ou de fils de dieux.

La cité dont il est question dans les Lois est purement humaine. Elle est d’un degré inférieur et beaucoup moins parfaite. Si Platon renonce dans cet ouvrage au communisme, ce n’est pas qu’il ait cessé de le considérer comme excellent, mais c’est au contraire parce qu’il ne croit pas les hommes capables d’atteindre une telle perfection. En écrivant les Lois, il n’a pas le moins du monde renoncé à son idéal ; il se résigne seulement en raison de la faiblesse humaine à une organisation copiée sur la première, qui reste le modèle éternel : παράδειγμα.

Dans la cité parfaite, les femmes et les enfants appartiennent à tous, mais c’est une cité qui ne peut être composée que de « dieux ou d’enfants de dieux[1] » (739, D).

La république, dont les Lois tracent le plan, quoique très supérieure aux villes grecques actuellement existantes, vient au second rang ; au-dessous d’elle on peut encore en concevoir une troisième, plus rapprochée sans doute de l’humanité actuelle, dont Platon dit qu’il tracera peut-être un jour le plan dans un troisième ouvrage qu’il n’a pas écrit (739, E) : τρίτη δὲ μετὰ ταῦτα, ἑὰν θεὸς ἐθέλῃ, διαπερανούμεθα. Cf. 732, E : λέλεκται σχεδὸν ὅσα θεῖά ἐστι. τὰ δ’ ἀνθρώπινα νῦν ἡμῖν οὐκ εἴρηται, δεῖ δέ. ἀνθρώποις γὰρ διαλεγόμεθα, ἀλλ’ οὐ θεοῖς.

  1. Nous adoptons ici la correction de Gomperz qui considère les mots πλείους ἑνός comme interpolés. (Op. cit., p. 31.)