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PHILOSOPHIE ANCIENNE

der Geselze[1], établit d’une manière qu’on peut regarder comme définitive que les Lois sont bien l’œuvre de Platon et que, quelle que soit la part qu’y ait prise Philippe d’Oponte, on y trouve encore la vraie pensée du Maître. Du reste, M. Lutoslawski ne conteste pas cette authenticité ; nous pouvons donc la considérer comme acquise. Ajoutons que les Lois, quoi qu’on en ait dit, malgré quelque lenteur et quelque négligence, ne sont pas inférieures aux autres dialogues. L’unité du plan, la vigueur de la conception générale, la beauté de quelques pages et la perfection de l’ensemble attestent qu’en écrivant cet ouvrage, le philosophe était encore en pleine possession de son génie. C’est ce que met hors de doute, pour tout lecteur non prévenu, une lecture attentive du dialogue, et ce qu’achève de mettre en pleine lumière la savante démonstration de Gomperz.

Reconnaissons d’abord qu’on peut parcourir en entier les douze livres des Lois sans rencontrer, une seule fois, une mention formelle et expresse de la théorie des Idées ; mais on n’y trouve pas non plus la moindre preuve directe que Platon ait substitué à la théorie des Idées une théorie conceptualiste plus ou moins analogue à celle que l’on rencontre chez Kant. Mais de ce que Platon ne parle pas de la théorie des Idées, on ne peut légitimement conclure qu’il l’ait abandonnée, si on entrevoit les raisons qu’il a pu avoir de la passer sous silence. Or il est aisé de voir, d’abord qu’il n’avait pas de raison pour parler de cette théorie dans les Lois, et ensuite qu’il en avait d’excellentes pour n’en point parler. Ces raisons sont tirées du sujet qu’il traite et des personnages qu’il met en scène.

Dans le dialogue des Lois le philosophe s’occupe exclusivement de politique. Il trace le plan d’un État dont il croit la réalisation possible. Et, en dépit des longueurs où il se complaît, des détails minutieux où il s’attarde, on ne peut pas dire qu’il s’écarte un seul instant de son sujet. Il n’avait donc pas lieu d’exposer la théorie des Idées. Si Spinoza, dans le Tractacus politicus, ne parle pas de la distinction des idées adéquates et inadéquates, il est clair qu’on n’en peut conclure

  1. Sitzungsberichte der kais. Akad. der Wissenschaften in Wien, Philosophisch­historische Klasse, Vol. CXLV. Vienne, 1902.