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PHILOSOPHIE ANCIENNE

pas le même ; qu’il est à la fois et qu’il n’est pas l’être[1]. » Mais c’est précisément ce qu’il refuse d’admettre pour des raisons antérieurement indiquées ; ce qui prouve qu’il l’entend ainsi, c’est qu’il répète à plusieurs reprises que le mouvement et le repos sont absolument opposés, et nous avons vu tout à l’heure que cette opposition est le nerf de toute la démonstration précédente. Tandis que trois genres, l’être, le même et l’autre sont, malgré leur différence, de ceux qui peuvent se combiner entre eux, le mouvement et le repos sont du nombre des genres incommunicables ; entre eux il n’y a pas une opposition de contrariété, mais une opposition contradictoire. Il suffit d’ailleurs, pour la démonstration présente, d’avoir rappelé que le mouvement est autre que le repos.

De même le mouvement est le même que le même et il n’est pas le même ; il est le même si on considère sa nature ou sa définition ; il n’est pas le même puisqu’il change toujours. Il ne faut pas s’effrayer de cette contradiction, puisque c’est sous des rapports différents que les contraires sont affirmés. De même il est et il n’est pas autre que l’autre. Autre que le repos, le même et l’autre, le mouvement pour les mêmes raisons est autre que l’être, quoiqu’il soit. En d’autres termes, il est et il n’est pas ; il y a en lui beaucoup d’être et beaucoup de non-être, et comme les genres participent à l’autre ainsi qu’on l’a vu, puisque chacun d’eux est autre que les autres, ils participent tous aussi du non-être.

En posant la réalité du genre de l’autre, nous avons donc posé la réalité du non-être ; et comme la nature de l’autre, ainsi qu’on l’a vu, s’étend aussi loin que celle de l’être, et qu’elle est répandue en toutes choses, il y a partout du non-être à côté de l’être. Tout être est en lui-même, mais étant

  1. Il nous paraît impossible d’admettre aucune des deux interprétations proposées par Apelt (p. 174, note 10). Nous écartons la première parce qu’elle repose sur une interprétation, qui paraît inexacte, de la page 249. La seconde paraît bien subtile et artificielle et d’ailleurs n’est autorisée par aucun texte. Ni l’une ni l’autre enfin ne font disparaître la contradiction qui paraît exister entre ce passage et ceux où l’irréductibilité du mouvement et du repos est expressément affirmée. L’interprétation que nous donnons ici, et qui est celle de Schleiermacher, supprime au contraire la contradiction, puisque la participation du mouvement et du repos, niée formellement par Platon, n’est présentée ici que comme une hypothèse.