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LA THÉORIE PLATONICIENNE DE LA PARTICIPATION

tique. Voilà ce que le Parménide n’a pas dit et ce que met en pleine lumière le Sophiste.

On a quelquefois considéré le Parménide comme un tissu de sophismes, et il faut avouer que les raisonnements où se complaît la subtilité de Platon ont de quoi confondre et déconcerter toutes nos habitudes d’esprit. Mais avant de porter une accusation si grave contre le grand philosophe, il faudrait être en mesure de prouver : ou que Platon, en partant des principes sur lesquels repose son argument, a commis des fautes de raisonnement, ou que ces principes eux-mêmes contestables, ou même certainement inexacts pour nous, n’étaient pas admis d’un commun accord par les contradicteurs qu’il voulait réfuter. Or nous ne sachions pas que la première de ces démonstrations ait jamais été tentée avec succès ; et, quant à la seconde, il est historiquement prouvé que les contemporains de Platon, égarés, soit par l’éléatisme, soit par le sensualisme de Protagoras, raisonnaient exactement comme lui et soutenaient fort sérieusement que tout est vrai et, que rien n’est vrai. C’est au contraire parce qu’il voulait faire justice de ces assertions destructives de toute science que Platon a entrepris l’argumentation dont le Parménide marque un des stades. On ne saurait lui faire un reproche d’avoir raisonné comme ses adversaires pour les réfuter, et de n’avoir pas pris parti avant de montrer la fausseté de propositions que personne ne songeait à contester. Si l’interprétation qu’on vient d’indiquer est exacte, le Parménide ne renferme aucun sophisme, car il est certain qu’au point de vue qui est celui de tous les philosophes de l’époque, on peut prouver que tout est vrai et que tout est faux. Il pèche seulement par omission, il n’indique pas la solution que Platon sans doute avait déjà par devers lui. Le jeu consiste à ne discuter que deux solutions du problème alors qu’en réalité il y en a trois. Mais un philosophe a bien le droit d’exposer les difficultés sans en donner tout de suite la solution. Il peut avoir des raisons sérieuses de la réserver et de choisir son heure. Rien ne l’oblige à ouvrir sa main tout entière et à dire tout son secret, surtout quand il s’agit de vérités qu’il a découvertes lui-même par un patient effort, et auxquelles personne avant lui ne s’était avisé de penser. Platon