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PHILOSOPHIE ANCIENNE

Voici ce qui résulte de la non-participation de l’un pour les autres choses ; c’est la huitième hypothèse (165, E ; 106, C). Ces autres choses n’auront même plus l’intelligibilité crépusculaire ou l’apparence d’existence que leur faisait encore la septième hypothèse, puisqu’on les suppose maintenant privées de toute communication avec l’unité. Ainsi on ne pourra pas dire qu’elles sont multiples parce que la multiplicité suppose l’unité, et par conséquent ne peut subsister sans elle. Elles ne sont ni semblables ni dissemblables, ni en mouvement ni en repos : c’est le pur néant. L’unité, en disparaissant, a emporté avec elle la dernière lueur qui rendait possible l’apparence même des choses.

Quatre hypothèses positives et quatre hypothèses négatives aboutissant à deux conclusions en apparence contraires, mais au fond identiques, on peut tout affirmer de l’un et des autres choses, on ne peut rien affirmer de l’un ni des autres choses : tel est le résumé de cette discussion. Dans tous les cas, qu’on puisse tout dire ou qu’on ne puisse rien dire, il n’y a pas de science possible ; c’est ce que déclare expressément la conclusion du dialogue.

« Disons donc que, selon toute apparence, soit que l’unité existe, soit qu’elle n’existe pas, l’unité elle-même et ce qui est autre, dans leurs rapports avec eux-mêmes et dans leurs rapports réciproques, sont absolument tout et ne le sont pas, le paraissent et ne le paraissent pas » (166, C) : « Εἰρήσθω τοῦτό τε καὶ ὅτι, ὡς ἔοικεν, ἒν εἴτ’ ἔστιν εἴτε μὴ ἔστιν, αὐτό τε καὶ τἆλλα καὶ πρὸς αὑτὰ καὶ πρὸς ἄλληλα πάντα πάντως ἐστί τε καὶ οὐκ ἔστι καὶ φαίνεταί τε καὶ οὐ φαίνεται. — Ἀληθέστατα. »

Nous pouvons toutefois préciser encore davantage. Ce qui fait le nerf de l’argumentation, c’est cette vérité découverte par Platon que l’un (et sans doute il en serait de même pour toute autre Idée) peut, tout en existant, ne pas participer à l’être, ou du moins, ce qui revient au même, ne pas être considéré comme y participant ; inversement l’un, tout en n’existant pas, peut participer à l’être si on donne au mot « un » un sens déterminé, si on distingue cette idée de toutes les autres. Par suite, l’argumentation du Parménide peut se résumer ainsi : si l’un est et qu’il participe à l’être, on peut affirmer de lui et des autres choses tous les contraires ; s’il