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PHILOSOPHIE ANCIENNE

qu’au temps de Platon plusieurs écoles s’accordaient, pour des raisons qui ne sont point méprisables, à nier qu’il fût possible à l’homme de se tromper. Comment y aurait-il des erreurs si, comme le disaient Protagoras et ses disciples, la sensation était la source et la mesure de la vérité, si la science ne différait pas de la sensation ? D’autre part, les rigoureux logiciens de l’école d’Élée et les Cyniques déclaraient qu’il est impossible de dire autre chose que ce qui est, car ce serait affirmer le non-être, dont une maxime célèbre de Parménide interdisait de parler jamais. On allait même plus loin, et Antisthène soutenait qu’on ne peut affirmer un attribut d’un sujet, dire, par exemple, que l’homme est bon, car l’homme et la bonté sont deux choses distinctes qu’on n’a pas le droit de confondre ; sans doute le sens commun ne s’embarrassait pas de toutes ces difficultés et on continuait à affirmer les adjectifs des substantifs, à dire qu’il y a des sophistes artisans de mensonge et de fourberie. Mais la philosophie naissante aurait manqué à un de ses devoirs essentiels si elle ne s’était pas appliquée à porter la lumière sur tous ces problèmes, à réconcilier le sens commun et la raison, à justifier en droit ce que tout le monde admettait en fait. Telle est précisément la tâche que s’est donnée Platon en traitant le problème de la participation. Il l’a si bien remplie qu’après lui la difficulté a été généralement considérée comme résolue ; l’ombre s’est dissipée, les subtilités des écoles rivales ont été prises pour ce qu’elles étaient, de simples chicanes, et au moins pour un temps assez long on n’a plus mis en doute la différence de la vérité et de l’erreur. C’est dans le Parménide et dans le Sophiste que Platon a exposé ses vues sur un problème si important.

I

Nous ne nous proposons ici, ni de revenir sur l’authenticité du Parménide — après tant de discussions, nous la tenons pour acquise, — ni de déterminer l’époque probable où ce dialogue a été écrit : avec beaucoup d’historiens contem-