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PHILOSOPHIE ANCIENNE

allume le soleil et les planètes, et donne à l’ensemble une impulsion d’où va résulter le mouvement qui ne cessera jamais. Aussitôt le monde commence à vivre d’une vie divine, et le temps commence, mesuré par le mouvement de l’univers, « image mobile de l’éternité immobile ».

Qu’il y ait, dans cette cosmogonie, une part de mythe, c’est ce qui saute aux yeux. Platon l’a d’ailleurs expressément voulu. À plusieurs reprises, dans le Timée, il avoue ne dire que des choses vraisemblables. Nous sommes là dans le monde du devenir et, par suite, dans celui de l’opinion, mais, prenons-y garde, de l’opinion vraie. Aussi, croyons-nous que l’on a souvent exagéré la part du mythe dans la philosophie de Platon et que la théorie du Timée, où l’âme nous est présentée comme un mélange, veut être prise au pied de la lettre.

Que cette théorie soit pour nous surprendre, il n’est que trop vrai. Mais l’esprit de Platon et l’esprit grec du temps de Platon avaient d’autres habitudes que les nôtres.

Nous savons déjà, par ce qui précède, que Dieu est un mélange. Ne nous étonnons donc point que tout être réel, y compris l’âme du monde, soit aussi un mélange d’Idées, une μῖξις εἴδων. Remarquons les termes dont Platon se sert pour désigner les éléments du mélange, et que ces termes rappellent, on ne peut plus fidèlement, ceux qui reviennent à plusieurs reprises dans les discussions du Parménide et du Sophiste. Il est donc entre la cosmogonie du Timée et la dialectique des grands dialogues une parenté indéniable. Cette parenté est d’autant plus visible d’ailleurs que, chez Platon, les termes de ϰρᾶσις, ϰοινωνία, μετάληψις, μῖξις, c’est-à-dire les termes de « mélange » et de « participation » sont termes synonymes. Cela dès lors revient au même de nous représenter l’âme du monde comme un mélange du même et de l’autre ou de la faire participer de l’idée de l’autre et de l’idée du même, ce qui ne saurait avoir rien d’offensant pour personne.

Remarquons maintenant que si Platon compose l’âme du monde à l’aide du même et de l’autre, c’est pour obéir au fameux principe admis par tant de philosophes anciens que le semblable, seul, peut connaître le semblable. Il nous est