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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

faites et principalement à celle d’Aristophane. Il a vengé Socrate en le faisant connaître. L’éloge de l’amour est devenu l’éloge de Socrate et l’éloge de Socrate s’est naturellement tourné en apologie. Par là le Banquet dont nous avons montré le rapport avec le Protagoras et le Ménon se rattache aussi à l’Apologie de Socrate dont il est en quelque sorte le complément. Après les accusateurs publics vient le tour de ceux qui avaient donné au théâtre le signal de l’attaque. Si Platon voulait défendre la mémoire de son maître, il ne pouvait guère se contenter d’opposer des affirmations à des affirmations ou des plaisanteries à des plaisanteries. Le seul procédé digne de lui était d’aller au fond des choses, de montrer la réalité telle qu’elle était, et pour cela de remonter jusqu’aux principes philosophiques. C’est seulement en prenant la question de haut, en définissant la mission du philosophe qu’il pouvait nous faire comprendre le vrai rôle de Socrate et tracer un portrait digne de lui. D’autre part, on comprend que Platon, traitant une question de haute philosophie morale, celle-là même qui, nous en avons la preuve, était souvent agitée autour de lui, celle de savoir si la vertu peut s’enseigner, ait été amené à montrer comment le philosophe doit comprendre sa tâche. De là à peindre l’image fidèle de son maître il n’y avait qu’un pas. Il aura du même coup trouvé l’occasion bonne pour se laisser aller à son humeur batailleuse et rendre aux adversaires en leur faisant bonne mesure les coups que son maître avait reçus. Avec un art raffiné, avec une aisance et une souplesse dont un génie tel que le sien était capable, il a su poursuivre sans les confondre deux fins bien distinctes, mêler adroitement les procédés les plus divers et passer sans effort de la plus haute éloquence à la verve comique la plus étincelante et la plus mordante.

Gomperz, en terminant la délicate analyse qu’il a donnée du Banquet, découvre, lui aussi, une intention apologétique, mais il croit que c’est surtout au pamphlet de Polykrates que Platon s’est proposé de répondre (Penseurs de la Grèce, Reymond, p. 411). Il signale aussi le mysticisme érotique particulier à Platon et il ajoute : « Nous nous enhardissons, bien qu’avec hésitation, à faire un pas de plus et à indiquer le principal objet de cet amour spiritualisé pour des hommes.