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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

peut pas se produire dans toutes les âmes, mais seulement dans celles qu’un heureux naturel ou un don divin, θεία μοῖρα, y a prédisposées. C’est ce que Platon exprime en disant que l’amour engendre dans la beauté, qu’il ne peut s’attacher à rien de laid ; et c’est pourquoi Socrate disait aussi qu’il était toujours à la recherche et comme à l’affût des beaux jeunes gens. Il jouait sur les mots, car c’est la beauté de l’âme, comme on le voit dans la suite du Banquet (210, C), et non celle du corps qu’il poursuivait. Mais ces germes par eux-mêmes ne sont pas non plus suffisants. Il faut les féconder et les développer. Et tel est le rôle de l’amour ou de l’enseignement. Entre l’amour et la vertu il y a la même différence qu’entre la recherche de la vérité et la science, qu’entre la philosophie et la sagesse. L’amour n’est ni sage ni savant, mais il est philosophe (204, B), et le philosophe, à son tour, tel que le conçoit Platon, est inspiré par l’amour, si bien que la définition du véritable amour se confond avec celle du véritable philosophe.

Si nous interprétons bien la pensée de Platon, l’idée maîtresse du Banquet est de chercher une réponse à cette question tant agitée dans les écoles socratiques : la vertu peut-elle s’enseigner ? et comment ? La réponse est qu’elle peut s’enseigner par l’amour. Si le philosophe a fait table rase de toutes les théories sophistiques, s’il a fondé sa définition de l’amour sur la théorie des Idées, c’est pour arriver dans le discours de Diotime à la définition de l’amour ou de l’enseignement de la vertu. On voit comment l’amour reste toujours à un rang subalterne et secondaire. Il n’est qu’un intermédiaire et un auxiliaire. Sa mission est une propagande morale et spirituelle, il reste toujours au-dessous de la vraie science. Son rôle pourtant est considérable, puisqu’il se confond avec la philosophie elle-même.

S’il en est ainsi, on voit que le Banquet a pour but de résoudre la question posée, mais incomplètement résolue par le Protagoras et le Ménon. Nous aurons ailleurs l’occasion d’indiquer les liens étroits qui unissent ces trois dialogues. Nous voyons ici déjà très clairement comment ils se complètent et forment une sorte de trilogie. Nous pouvons suivre pas à pas le développement de la pensée de Platon, et