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PHILOSOPHIE ANCIENNE

ποιήσουσι βελτίους τοὺς νεόυς. Il ne s’agit plus ici de poursuivre ou même d’atteindre la beauté. Il s’agit de produire ou d’engendrer des vertus, et les plus hautes vertus sont des sciences. En d’autres termes, si on s’élève des corps aux âmes et des âmes aux sciences ou aux vertus, la fonction essentielle de l’amour est d’enseigner la vertu. C’est d’ailleurs ce que Socrate dit en propres termes. La vraie παιδεραστία est une pédagogie. On peut prendre pour équivalents ces deux termes, enseigner la vertu et ὀρθῶς παιδεραστεῖν μετὰ φιλοσοφίας (Cf. Phèdre, 247, A) : « Quand des beautés inférieures on s’est élevé par un amour bien entendu des jeunes gens jusqu’à cette beauté parfaite et qu’on commence à l’entrevoir, on touche presque au but » (211, B).

Cette identification de l’amour avec l’enseignement de la vertu a quelque chose qui nous surprend un peu et qui choque nos habitudes d’esprits modernes. Elle est pourtant bien conforme à l’esprit comme à la lettre du platonisme, et il est aisé d’en comprendre la véritable signification. Elle veut dire que ce n’est pas seulement par des formules abstraites, de sèches démonstrations et des procédés purement dialectiques, qu’on s’élève jusqu’à la vertu. Du moins la dialectique doit être active et vivante, le raisonnement doit être accompagné de la chaleur qui anime et vivifie l’âme, de la conviction qui persuade, de l’enthousiasme qui entraîne et de l’inspiration qui illumine. On peut s’élever par ses seules forces aux plus hauts degrés de connaissance, mais c’est qu’alors on trouve en soi cette source de chaleur et de vie sans laquelle l’ascension vers le bien est impossible. À mesure que l’esprit s’avance dans la découverte de la vérité, il est pris d’enthousiasme et, comme le dira plus tard Platon dans la République (VI, 499, E), on ne saurait contempler les vérités éternelles sans éprouver par là même le désir de les réaliser, et d’engendrer ou de créer des êtres qui leur ressemblent. Mais la méthode la plus courte et la plus sûre est d’avoir recours à un intermédiaire habile qui, ayant déjà parcouru les diverses étapes de la route, peut conduire plus directement et plus sûrement les initiés à la vraie science. Tel est le rôle du maître de sagesse, du véritable philosophe.

À la vérité cet enseignement de la vertu par l’amour ne