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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

l’âme, c’est-à-dire la pure raison, en faisant accomplir à l’âme tout entière un mouvement, περιαγωγή, analogue à celui du corps. Mais de même que c’est avec les yeux et non avec le reste du corps que nous voyons le soleil visible, de même c’est avec l’œil de l’âme, c’est-à-dire avec la raison pure, que nous voyons le soleil intelligible. Les autres parties de l’âme ne prennent pas plus de part à cet acte que les pieds, les mains ou les oreilles ne sont nécessaires à la vision sensible. Bien loin d’impliquer une intervention du sentiment dans la connaissance suprême, le texte du septième livre prouve précisément le contraire, et là comme dans tous les autres textes, c’est la pensée toute seule qui atteint l’absolu.

Ainsi la doctrine de Platon est toujours restée d’accord avec elle-même. Le poète du Banquet n’est pas en désaccord avec le mathématicien du Philèbe et du Sophiste ou le législateur de la République et des Lois. Le platonisme ne fait aucune part au mysticisme, il reste un pur intellectualisme. Il n’y a rien chez Platon qui ressemble à la cinquième partie de l’Éthique de Spinoza, il n’y a rien de commun entre l’amor Dei intellectualis et l’amour décrit par Diotime de Mantinée.

3° Malgré tout il est certain que l’amour tient une grande place dans le système de Platon. En quoi consiste ce rôle d’intermédiaire et d’auxiliaire qui lui est attribué, voilà ce qu’il nous reste à rechercher.

Rappelons d’abord les textes qui prouvent à quel point Socrate prend au sérieux la théorie de l’amour, et quel grand rôle il lui attribue. Il fait profession de ne savoir qu’une chose, l’amour οὐδέν φημι ἄλλο ἐπίστασθαι ἢ τὰ ἐρωτιϰά (177, E). Ainsi encore, après qu’il a exposé les idées de Diotime, il ajoute : « Quant à moi, j’honore tout ce qui se rapporte à l’amour, j’en fais l’objet d’un culte tout particulier, je le recommande aux autres, et en ce moment même je viens de célébrer de mon mieux, comme je le fais sans cesse, la puissance et la force de l’amour » (212, B). Dans tout le reste du discours la même idée revient sans cesse.

La fonction de l’amour est, d’après le discours de Diotime, d’engendrer dans la beauté, et, si on l’envisage sous sa forme la plus élevée, de faire naître la vertu dans les âmes qui en sont capables (210, C) : τίϰτειν λόγους τοιούτους ϰαὶ ζητεῖν, οἴτινες