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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

Diotime demande à Socrate s’il n’y a rien d’intermédiaire entre savoir et ignorer, le philosophe répond : μάλιστά γε (201, E). La théorie de l’opinion vraie, intermédiaire entre la science et l’ignorance, participant de la première parce qu’elle est vraie, de la seconde parce qu’elle n’est qu’une opinion qui ne peut rendre raison d’elle-même, est la grande nouveauté que Platon introduit dans la philosophie. Il avait déjà dit quelque chose de semblable dans le Protagoras et le Ménon lorsqu’il prouvait que la vertu n’est pas une science et ne peut être enseignée, mais qu’elle est une opinion vraie, ce qui est précisément l’opposé de la thèse socratique. On voit ici une fois de plus le lien étroit qui unit le Banquet à ces deux dialogues, et permet de croire qu’ils ont été composés vers la même époque. C’est la même idée encore que Platon reprendra et défendra avec force à la fin du cinquième livre de la République. C’est elle enfin qu’il envisagera sous sa forme la plus abstraite et la plus métaphysique lorsque, dans le Parménide et le Sophiste, il s’évertuera à prouver que le non-être existe en quelque manière, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose d’intermédiaire entre l’être et le néant. Or, au point où en était la spéculation grecque au temps de Platon, il fallait établir violemment βιάζεσθαι (Sophiste, 241, D) l’existence du non-être, c’est-à-dire une contradiction apparente, pour rendre possibles la communication ou la participation des idées entre elles, par suite l’existence du monde, la possibilité du jugement affirmatif et celle de l’erreur. Platon est donc déjà, à l’époque où il écrit le Banquet, en possession d’une des idées maîtresses de son système. Mais nous n’avons ici à considérer que l’application qu’il en fait à l’amour. Elle lui permet de conclure que l’amour est intermédiaire entre Dieu et les hommes, qu’il est un démon, un grand démon, non pas un dieu, ou, en d’autres termes, qu’il n’est par lui-même ni bon ni mauvais.

D’où lui vient donc sa valeur et pourquoi est-il en certains cas excellent, détestable en d’autres ? Pausanias et Éryximaque avaient déjà fait une distinction entre les deux sortes d’amour ; mais ni l’un ni l’autre n’avaient su démêler les véritables raisons et déterminer ce qui fonde la valeur de l’amour. Ce n’est pas, comme le croit Pausanias, l’intention de celui qui agit, car cette intention est un fait variable ou, comme nous