Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
PHILOSOPHIE ANCIENNE

soumises au règne de l’amour, et ainsi le discours d’Éryximaque nous offre un résumé fidèle de l’enseignement de son maître[1].

Si on était tenté de supposer que la présence d’Aristophane parmi les convives du Banquet s’explique par une réconciliation survenue sur le tard entre le poète et sa victime, il suffirait d’un peu d’attention pour relever à travers tout le dialogue de nombreuses traces de malveillance, et s’assurer que Platon n’a pas désarmé, qu’il traite toujours en ennemi l’ennemi de son maître[2]. Dès le début, en effet, le poète nous est représenté comme occupé sans cesse des choses de Bacchus ou de Vénus (117, E). Il est adonné au vin, et il est de ceux qui, la veille, se sont le moins ménagés dans l’orgie qui a terminé la fête donnée par Agathon (176, B). À la fin de l’ouvrage encore, nous le voyons continuer à boire avec les plus intrépides et ne s’arrêter que quand le matin est venu (223, C). Au moment où arrive son tour de parler, il en est empêché par le hoquet, et Platon explique cette incommodité par le fait d’avoir trop mangé (185, C). Aristophane demande assez plaisamment au médecin Éryximaque le moyen d’y mettre un terme. Éryximaque lui en indique deux que le poète est obligé d’employer tour à tour, et, au moment où il en est réduit à se chatouiller l’intérieur du nez pour provoquer l’éternument, il se plaint en riant de recourir à ces procédés déplaisants (189, A). On ne supposera pas que ce soit sans intention que Platon a accumulé tous ces détails. Il nous montre Aristophane désireux sans doute de faire rire comme il convient à un poète comique, mais soucieux de ne pas prêter lui-même à rire et de mettre les rieurs de son côté, ce qui autorise peut être à supposer que Platon a précisément eu l’intention de faire rire à ses dépens. Son discours, ainsi qu’il le remarque lui-même, est conforme à sa manière ordinaire, et telle qu’on pouvait l’attendre d’un poète comique. Platon a évidemment pris plaisir à imiter le ton habituel de la comédie aristophanesque, à lui prêter les imaginations et des

  1. Cf. dans le Prot. (337, E) le discours d’Hippias qui présente plus d’une analogie avec le discours d’Éryximaque.
  2. Voir sur ce point Ferdinand Delbrück : De partibus quas Aristophanes agat in Platonis Symposio (1839), et le commentaire de Stallbaum (p. xlv).