Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
SUR LE « BANQUET » DE PLATON

profondément religieuse du philosophe n’aurait jamais admis qu’on se servît du nom d’un dieu ou d’une déesse pour désigner des actions comme celle qu’on attribue à l’Ἀφροδίτη πάνδημος. Le philosophe qui refuse même à l’amour le titre de dieu ne saurait l’accorder à une coureuse de carrefours. D’ailleurs la suite du dialogue montre bien que Platon n’adopte pas tout à fait la manière de voir de Prodikos. Il n’identifie pas l’amour à la beauté et ne lui attribue pas la beauté comme objet. La fonction de l’amour est seulement la génération dans la beauté. Enfin rien n’est plus contraire au platonisme que la théorie formulée par Prodikos, selon laquelle les choses sont indifférentes en elles-mêmes. Qu’il n’y ait rien de bon ou de beau en soi, αὐτό ϰαθ’ αὑτό, et que la valeur des actes dépende de l’intention qui les inspire, voilà ce que des philosophes ultérieurs ont pu admettre avec Prodikos, mais qui est incompatible avec tous les principes de la philosophie platonicienne.

Il est assez piquant toutefois de constater qu’on a si longtemps attribué à Platon une doctrine qu’il n’a formulée que pour la tourner en dérision, et que le maître ironiste a été en quelque sorte pris à son propre piège.

Éryximaque, ainsi que nous l’apprend le Protagoras (315, C), était disciple d’Hippias d’Élis. Son discours dans le Banquet correspond très exactement à ce que nous savons de l’enseignement de ce sophiste. À la vérité, Hippias, soit qu’il fût un adversaire moins ardent, soit qu’il fût considéré comme moins dangereux, semble traité avec plus de ménagement que les autres. Il s’occupait surtout de l’étude de la nature et il avait la prétention de connaître toutes les sciences. De même Éryximaque est médecin, et la théorie de l’amour qu’il propose ne s’applique pas seulement aux hommes, mais à tous les êtres vivants, et même à toute la nature. C’est par l’amour que sont réunis, — et il semble qu’on trouve ici un souvenir des doctrines d’Empédocle, — les contraires, le sec et l’humide, le froid et le chaud, les quatre éléments. Quand l’harmonie et la proportion, c’est-à-dire le véritable amour, viennent à faire défaut, se produisent la maladie et la mort. Toutes les sciences relatives à la nature, la gymnastique, la musique, l’astronomie, la divination, sont considérées comme