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PHILOSOPHIE ANCIENNE

liberté de mœurs admise par la plupart des esprits, et les précautions prises par les pères de famille pour préserver leurs enfants. Ces distinctions et d’autres encore remplissent le discours entortillé et fastidieux de Pausanias ; il n’y a rien là qui ressemble au style habituel de Platon. Le sophiste donne d’ailleurs le moyen de les concilier dans la règle indiquée plus haut.

Mais c’est surtout la célèbre distinction entre les deux Vénus, Vénus céleste et Vénus terrestre, qui décèle ici l’intervention de Prodikos. Il est impossible de n’être pas frappé de la ressemblance de cette dichotomie avec le célèbre apologue d’Hercule hésitant entre le vice et la vertu que Xénophon a rapporté dans ses Mémorables (I, 21) et auquel le Banquet fait allusion quelques lignes plus haut. Presque toutes les fois que Platon met en scène Prodikos, c’est pour lui attribuer une distinction subtile sur le sens des mots (Charm., 163, D ; Lach., 197, D) ; il rapproche les termes semblables et pour un même mot détermine les diverses significations qu’il peut avoir. Toute cette ironie n’empêche pas d’ailleurs que Prodikos ne soit présenté comme un penseur sérieux, fidèle aux règles de l’honnêteté, et dont Socrate lui-même peut dire qu’il a été le disciple (Prot., 341, A ; Mén., 96, D).

Il est vrai que cette distinction entre la Vénus céleste et la Vénus terrestre a été presque toujours considérée comme l’expression de la pensée même de Platon. C’est à lui que des historiens, même récents, en font honneur, et il faut avouer que Plotin leur avait donné l’exemple. Toutefois l’autorité même du philosophe alexandrin ne saurait diminuer les droits de la critique. Or la preuve que la distinction des deux Vénus n’appartient pas en propre à Platon, c’est que nous la retrouvons aussi dans le Banquet de Xénophon (ch. 8). Très probablement la distinction est de Prodikos lui-même. Elle était devenue populaire, et Platon la lui emprunte pour s’en moquer. Ce qui a trompé les interprètes, c’est que la distinction de Prodikos est à première vue tout à fait conforme à la doctrine de Platon lui-même ; mais si on veut y regarder de près, on s’apercevra qu’il n’en est rien. D’abord les déesses de Platon ne courent pas les rues. L’âme