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XI

LA MORT D’UN BOUVREUIL

À Aurélien de Courson


Ces premiers souvenirs de bonheur ou de peine,
Par instants on les perd, mais un rien les ramène,
Le fusil d’un chasseur, un coup parti du bois,
Viennent de réveiller mes remords d’autrefois :
L’aube sur l’herbe tendre avait semé ses perles,
Et je courais les prés à la piste des merles,
Écolier en vacance ; et l’air frais du matin,
L’espoir de rapporter un glorieux butin,
Ce bonheur d’être loin des livres et des thèmes,.
Enivraient mes quinze ans tout enivrés d’eux-mêmes.

Tel j’allais par les prés. Or un joyeux bouvreuil,
Son poitrail rouge au vent, son bec ouvert, et l’œil
En feu, jetait au ciel sa chanson matinale,
Hélas ! qu’interrompit soudain l’arme brutale.
Quand le plomb l’atteignit tout sautillant et vif,
De son gosier saignant un petit cri plaintif
Sortit, quelque duvet vola de sa poitrine,
Puis, fermant ses yeux clairs, quittant la branche fine,
Dans les joncs et les buis de son meurtre souillés,
Lui, si content de vivre, il mourut à mes pieds !

Ah ! d’un bon mouvement qui passe sur notre âme
Pourquoi rougir ? la honte est au railleur qui blâme.
Oui, sur ce chanteur mort pour mon plaisir d’enfant,