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Mais voyez ma faiblesse, et plaignez-la, ma mère.
Ce jour, dans tous les temps, me fut un jour fatal.
Pour vous comme pour moi, je redoute un grand mal.
Toutes vos volontés sont les miennes, Madame,
Donnez à qui vous plaît et ma main et mon âme.
Mais qu’il vienne plus tard, dans quelques jours… demain
Je lui livre, soumise, et mon âme et ma main.
— C’est assez. La noblesse et toute la famille
Et tous les domainiers sont arrivés, ma fille :
Déjà même le prêtre est dans la salle, en bas ;
Il n’est qu’un seul absent dont je ne parle pas.
Rosily, vous savez l’usage de Bretagne :
Devant le fiancé doit s’enfuir sa compagne ;
Trouvez donc un endroit bien sombre où vous cacher,
Et que le jour entier se passe à vous chercher.
Ma fille, qu’à présent votre cœur me pardonne,
Croyez bien, Rosily, que votre mère est bonne…
Mais on heurte au portail et j’entends le sonneur :
Fille des anciens ducs, songez à votre honneur ! »
 
L’époux et ses amis, comme une meute ardente,
Ont rempli le manoir ; mais la biche prudente,
Devançant les limiers aux sauvages abois,
Fuyait vers un abri plus sûr que ceux des bois.
Pêle-mêle ils couraient, nobles, vassaux, vassales,
Visitant les paliers, les tourelles, les salles.
Et les granges enfin, l’étable des fermiers :
La biche défiait le flair prompt des limiers ;
La nuit était venue, on la cherchait encore ;
Cent voix, cent voix criaient au lever de l’aurore ;
Trois jours sur les viviers, sur les puits se penchant,
La mère désolée appela son enfant.