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Où des nuits d’insomnie avaient marqué leurs fièvres.
Et ses regards voilés, des mots de désespoir,
Allaient de la prairie aux portes du manoir…
Enfin d’un ruban jaune (et dans tous nos villages
C’est la couleur encor du deuil et des veuvages)
Il noua son bouquet ; puis, non loin du château,
Songeant qu’un plus heureux l’en chasserait bientôt,
Entra dans la chapelle, et sous une relique,
Sur un coffre il posa son bouquet symbolique.
Ah ! les fleurs d’églantier, les boutons d’or si frais,
Tristement entourés de feuilles de cyprès,
C’étaient tous ses espoirs de jeunesse première
Qu’il venait déposer comme sur une bière !
Coffre saint mutilé par le fer et le feu,
Lorsque les dissidents qui croyaient servir Dieu
Foulèrent sous leurs pieds les dépouilles bénites :
Os blanchis de martyrs, de recluses, d’ermites.
Un vieillard qui suivait vit le doux chevalier,
Et vint tout près de lui, pâle, s’agenouiller.
« Oui, mon vieux serviteur, fais que Dieu me bénisse !
Pour elle aussi prions… Jésus, quel sacrifice ! »
Et tous deux les voilà priant sur les pavés,
Sous leurs cheveux pendants leurs yeux au ciel levés,
Et maître et serviteur, et vieillard et jeune homme :
Toi qui rapproches tout, c’est Douleur qu’on te nomme !

II

La fille du manoir disait, le même jour :
« Ma mère, cette preuve encor de votre amour !
Mon esprit s’est créé peut-être une chimère ;