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De sa cour entouré, le bon duc de Bretagne
Vous arrive, et Lina sa fille l’accompagne ;
Et par ce jeune bras soutenu, le vieux duc,
Sous l’or de son manteau, chancelant et caduc,
Se traîne en saluant la multitude avide,
Oublieux de son rang, mais tout fier de son guide.
Or, pourquoi si dolente et ce front sérieux,
Elle, vers qui s’en vont tous les cœurs et les yeux ?
Depuis un an cloîtrée avec des saintes vierges,
Pâlit-elle si vite à la lueur des cierges ?
Ou si son cœur redoute en secret quelque mal ?
Cependant, la voici près de l’arc triomphal,
Et, la main dans la main, le seigneur du domaine
Vers la barque dorée en souriant la mène,
Là, parmi les rameurs du léger batelet.
Moins triste, elle sourit à son frère de lait.
Elle ne pâlit plus, la timide recluse.
Quand, le lac traversé, les portes d’une écluse,
Aux voix des instruments qui donnaient le signal,
S’ouvrant, l’esquif vainqueur entra dans le canal
Qui, par de grands travaux franchissant la distance,
Joignait l’Étang-au-Duc à l’Étang-de-Plaisance.
Mais, tel un condamné que l’on traîne à la mort,
Ses regards lentement erraient sur chaque bord,
Comme dans un adieu saluant la prairie
Et l’étang paternel où s’éveilla sa vie…
Alors le fier seigneur, penché courtoisement :
« Voici mon œuvre ! Et, vous, dame, votre serment ?
— Je me souviens, » dit-elle. Et sa main virginale
Sans trembler accepta la bague nuptiale :
Puis, s’élançant au cou du jeune batelier,
Tous deux tombaient au fond du lac hospitalier.