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Oui, dans ces froides eaux éteindre ma jeune âme,
Noir ravisseur, plutôt que me nommer ta femme !
Peut-être de ma mort naîtra ton désespoir,
Et tu vieilliras triste et seul dans ton manoir. »

Prés de l’Étang-au-Duc (le duc, son noble père,
Sous qui notre Armorique alors vivait prospère),
Lina, la blanche, ainsi parlait dans son effroi.
Car du château voisin, sur un noir palefroi,
Vers la vierge tremblante accourait hors d’haleine
Un poursuivant d’amour qui n’avait que sa haine.
Acharné sur sa trace, à toute heure, en tout lieu.
Au temple il se plaçait, sans peur, entre elle et Dieu ;
Il la suivait aux champs, hideux spectre, à la ville,
Et, jusqu’en ce désert, près de ce lac tranquille.

Ses pieds nus sur le sable et les cheveux au vent,
Là, depuis le matin, jouait la belle enfant,
Et les cailloux dorés sous les eaux transparentes,
Les insectes errants, les mouches murmurantes,
Les poissons familiers venant mordre le pain,
Le pain de chaque jour émietté par sa main,
Et le vol d’un oiseau, la senteur des eaux douces,
Les saules frissonnants, les herbages, les mousses.
Tout dans ce cœur mobile allait se reflétant ;
Puis, Lina n’était pas seule au bord de l’étang ?
Le long du pré passait, repassait la nacelle
De son frère de lait, jeune et riant comme elle.
Dès que, de son jardin descendant l’escalier,
De loin apparaissait Lina, le batelier,
Pareil à l’alcyon qui chante sur les lames,
Loïs, chantant aussi, voguait à toutes rames ;