GASPARD, à part.
Quelle taille, corbleu !
Et quel charmant visage !
Son souvenir, je gage,
M’fera mourir à petit feu !
Scène XII
GEORGETTE, à elle-même.[1] Il est parti… et ma lettre ?
GASPARD, à part. Elle est seule… voilà le moment de lui glisser le poulet de monsieur Tristan… (Haut.) Madame…
GEORGETTE. Mon Dieu !… je sais… ce n’est pas votre faute.
GASPARD, lui présentant une lettre. Tenez, voici la lettre.
GEORGETTE. Mais non… courez sur ses pas, et remettez-la-lui.
GASPARD. C’est ce que je vais faire… mais ça ne vous empêche pas de prendre celle-ci.
GEORGETTE. Comment ?
GASPARD. Elle est pour vous. (Il lui donne une lettre et lui en montre une autre.) Je vais lui remettre la vôtre. (Il sort en courant.) Eh ! monsieur Tristan ! monsieur Tristan ! (En sortant, sans quitter des yeux Georgette, il se cogne violemment à la porte, et disparaît en criant.) Voilà, voilà.
Scène XIII
Une lettre ?… pour moi ?… Ce garçon se trompe… (Elle l’ouvre.) Ah ! mon Dieu ! Elle est de Tristan !… (Lisant haut.) « Ma bonne petite Georgette… tout a une fin dans ce monde ; il faut nous séparer. Je te laisse mon petit mobilier… — Dans le tiroir de mon bureau, tu trouveras cent francs… c’est la moitié de ce qui me reste… partageons !… Ne sois pas fâchée, et pense à moi… quand tu auras le temps. Ton ami pour toujours… Tristan. » — Et j’ai sacrifié deux de mes plus belles années à cet être-là !… J’ai toujours hésité à le tromper !… Et voilà ma récompense !… Mais c’est abominable ! c’est infâme ! c’est ignoble !… Oh ! les hommes !… je voudrais qu’ils fussent tous… ce qu’ils sont assez généralement, du reste !… Ah ! je veux le revoir une dernière fois… lui dire tout ce que j’ai sur le cœur !
Scène XIV
TRISTAN, rentrant vivement, une lettre à la main. Par exemple ! voilà qui est dégoûtant !
GEORGETTE, à part.[2] C’est lui !
TRISTAN, à part. C’est elle !
GEORGETTE. Arrivez, monsieur… que je vous fasse compliment de votre conduite.
TRISTAN. Je vous conseille de parler !… Et la vôtre, donc ?
GEORGETTE, lui montrant sa lettre. Vous vouliez me quitter ?
TRISTAN, de même. Eh bien !… et vous ?
GEORGETTE. Me direz-vous vos raisons ?
TRISTAN. Me direz-vous les vôtres ?
GEORGETTE. Oh ! je n’en manque pas… et elles sont excellentes !
TRISTAN. Qui sait ?… les miennes sont peut-être meilleures !
GEORGETTE. Au bout du compte, il fallait en finir un jour ou l’autre.
TRISTAN. C’est ce que je me suis toujours dit.
GEORGETTE. Ça se trouve à merveille.
TRISTAN. Il ne faut pas se fâcher pour ça !
GEORGETTE. Est-ce que vous croyez que je vous en veux ? Vous vous tromperiez beaucoup.
TRISTAN. Et moi, donc ?… Vous n’avez pas, j’espère, la prétention de me croire irrité ? (Ils déchirent petit à petit les lettres qu’ils tiennent à la main.)
GEORGETTE. On vit chacun de son côté… voilà tout !
TRISTAN. Parbleu ! ça n’empêche pas de rester bons amis.
GEORGETTE. Certainement.
De cette route, où nous marchions ensemble,
L’amitié doit être le but.
TRISTAN.
Mais il serait malheureux, ce me semble,
Que l’un marchât et que l’autre courût ?
GEORGETTE.
Oui, sans doute, il faut qu’on la suive,
Du même pas, en se donnant la main.
TRISTAN.
Et trop souvent, quand l’un des deux arrive,
L’autre est encore au milieu du chemin. (bis.)
GEORGETTE. Il paraît que nous sommes arrivés en même temps, nous ?
TRISTAN. C’est encore un effet de la sympathie.
GEORGETTE. Probablement !… (Changeant de ton.) Ah ! dites donc, est-ce que vous ne m’avez pas redemandé vos lettres tout à l’heure ? (Cherchant dans sa robe.) Je viens de m’apercevoir que je les ai sur moi… les voilà !
TRISTAN, les prenant, puis fouillant dans sa poche. Ah ! ma foi, c’est comme les tiennes… je croyais les avoir oubliées, et elles étaient dans ma poche.
GEORGETTE, les prenant. Grand merci !
TRISTAN. Il n’y a pas de quoi.
GEORGETTE. Elles y sont toutes ?
TRISTAN. J’espère qu’il n’en manque pas ?
GEORGETTE. Il y en a peut-être quelques unes dont j’ai fait des papillotes.
TRISTAN. À moins qu’il n’y en ait plusieurs avec lesquelles j’aie allumé mon cigare.